Page 150 - La Lecture Expressive
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             Lèoture    72.  Les  cloches  de  l' Armistice

             1.  Un grand événement, ce fut l'armistice, en 1918. J'avais treize
          ans  et  demi.  Depuis  un  mois,  le  roulement  ne  s'arrêtait guère,  et,
          quand le temps était calme, l'orage des hommes vous faisait frémir,
           tandis qu'on labourait pour les  semailles  d'automne ...
             Un  jour,  je retournais sur la  semaille de  blé  le  vieux sainfoin  de
           la  pièce  des  Sœurettes,  et je  me rappelle  un tas de  détails : le  soc
          que  je  nettoyais,  Alexis  qui,  en  bas,  déchargeait du  fumier, et le
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          grand  soleil  rouge  qui  venait  seulement  de  percer.
            2.  J'entendis,  en  me  relevant,  un  hennissement : Pierrot saluait
           un son de cloche qui arrivait d'en bas. La main au-dessus des yeux,
           je regardai. Non, ce n'était pas un incendie, ni un office  •  Voici que
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           les  deux cloches s'y mettaient,  les  deux  belles  cloches  du  pays  qui
           ont le  plus  beau  son  de  toutes  les  églises  à  la  ronde,  et c'était  la
           grande  volée.
            3.  Je  ne  sais  quoi  traversa  tout moi-même,  ma tête,  mes  yeux,
           ma  poitrine,  et  je  me  sentis  pris  d'une  émotion  profonde,  d'une
           joie  que  je ne  sais pas  décrire.  Je criai tout haut :
            -   La  guerre  est  finie ! La  guerre  est  finie !
             Au  loin,  du fond  des  plis  de la  plaine, Aubeterre répondait,  puis  •
           ce  fut le  tour de  Luyères et celui  de  Monsuzain : partout de  légers
           frémissements  parcouraient l'air, et toutes les  cloches  de la  région
           s'appelaient dans le  matin.
             4.  Moi  je  serrais  le  cou  de  mes  deux  chevaux  en  sanglotant.
             -  Hue  Pierrot!  hue  Pierrot!  La  guerre  est  finie!
             Alors  je  vis  Alexis  qui faisait comme  moi,  et il  fallait que ce  fût
           une bien grande chose  pour arracher les paysans à  la terre en temps
           de semailles.  Tout le  village était dans les  rues,  sur la  place,  outils
           sur l'épaule. car l'instituteur venait d'afficher un télégramme jaune
           qui arrivait de  la Préfecture : L'armistice a élé signé le  11  novembre.
           II  avait ajouté : « Vive la  France! ,,
             5.  Je  craignais,  en  rentrant,  d'être  grondé  pour  avoir  quitté  le
           travail,  et je  me  proposais  de  repartir.  Mais  mon  oncle  me  dit :
             -  Non  ; aujourd'hui va avec les autrei- t.'amuser.  Nous, malheu-
           reusement ...
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