Page 48 - Vincent_Delavouet
P. 48
— 40 -
le chasseur, entre autres celle particulièrement bizarre de
faire perdre sa piste en se jetant d’un bond dans un fourré,
d’où, à son tour, il attaque le chasseur non prévenu.
Bref, nous nous quittâmes enchantés l’un de l’autre et
me mis à nouveau en route, après avoir garni mon havresac
de provisions fraîches.
Je fis ainsi environ cinq kilomètres dans la montagne et
j’aperçus, dans une petite clairière, un terrain moussu
rempli de fraises ! Ravi de l’aubaine, je me mis en devoir
d’en faire une ample provision. A genoux, me traînant ainsi
sur le sol, j’entendis un léger bruit à quelques mètres de moi.
Puis tout d’un coup, une énorme masse s’abattit juste
devant moi et je me trouvai nez à nez (textuel) devant un
ours d’une dimension impressionnante ! Plus mort que vif,
je ne fis aucun mouvement, croyant bien ma dernière heure
arrivée, me recommandai à tous les saints du Paradis et
« fis le mort », ainsi qu’il m’avait été recommandé, en atten
dant avec terreur que mon sort soit fixé.
Cet ours était-il suffisamment repu ? Eut-il peur de moi,
comme j’avais peur de lui ? Me trouva-t-il trop maigre ?
Autant de questions insolubles. Toujours est-il qu’au bout
de quelques secondes, qui me parurent des siècles, il se
décida à filer par le sentier dans une direction que je ne
cherchai pas à repérer.
Inutile de dire que l’envie des fraises m’avait quitté et
que je n’eus qu’une hâte : m’éloigner au plus tôt de l’endroit
qui aurait pu être mon tombeau. J’arrivai le soir même chez
un éleveur d’animaux, qui hébergeait les voyageurs et, après
lui avoir raconté mon aventure, ce dernier me dit, pour me
consoler : vous êtes plus chançard que ce Chinois qui vient
d’être dévoré récemment, jusqu’à ses bottes exclusivement.