Page 46 - Vincent_Delavouet
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sitai pas à aller lui rendre visite et même pour l’amadouer,
                connaissant son « faible », je me munis d’une bouteille de
               whisky.
                 Ce fut dans une misérable cabane délabrée, repoussante
                d’immondices, une véritable écurie à << cochons » que je fus
               reçu : j’exposai le but de ma visite et fus obligé d’accepter
               une hospitalité que j’aurais cependant désiré abréger. Je
               me trouvai devant une créature vêtue de peaux de bêtes,
               d’une saleté repoussante, mais qui m’accueillit cordialement
               comme compatriote.
                 Après l’avoir mis au courant de toutes mes tribulations,
                il me raconta son histoire, que je résume en quelques mots 'r
                 Parti de France au moment où l’or de la Californie excitait
               tant de convoitises, il eut la chance de trouver un gisement
               d’or qui pouvait le rendre millionnaire en. peu de temps, s’il
               avait eu un peu de persévérance,et surtout de tempérance.
               Mais il préféra prélever au fur et à mesure la quantité d’or
               qui lui était nécessaire pour satisfaire ses passions, et après
               l’avoir dépensé en orgies dans les villes voisines, revenir
               puiser « comme dans un sac » une nouvelle provision, qui se
               volatilisait ainsi peu. à peu. Si encore il était resté sur place,
               il se fût trouvé à l’abri du besoin pour le restant de ses jours,
               mais il quitta le certain pour suivre le torrent humain qui
               se déversait sur l’incertain Fraeser, où il n’eut que des
               déceptions, obligé qu’il était pour vivre, de faire le métier
               de trappeur, c’est-à-dire, en plein hiver, par des froids terri­
               bles de plus de 40°, creuser le sol, que l’on recouvre de bran­
               chages pour prendre des ours. D’autres animaux plus petits,
               tels que le castor, la martre, etc., reherchés pour leurs
               peaux, étaient pris dans des pièges.
                 Après avoir passé la nuit dans cette hutte sordide, dont
               l’odeur vous prenait à la gorge, sur des peaux de bêtes et
               des branchages, je quittai, le lendemain, ce Léon Gaillet
               avec un certain plaisir, afin de humer avec délices l’air pur
               du dehors. Le plus bizarre est que mon hôte ne voulut
               jamais accepter de moi cette bouteille de whisky.
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