Page 15 - Vincent_Delavouet
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             Tout en procédant à cette besogne, mon ami me dévisa­
           geait curieusement et à un moment me dit à brûle-pourpoint :
           -« Si tu venais d’où l’on prétend, tu ne serais pas si bien appro­
           visionné. — Que veux-tu dire ? — Qu’on prétend, dans le
           pays, que tu sors de prison ! » On peut penser si je fus stu­
           péfait.
             Il n’y avait qu’un moyen de me renseigner exactement,
           afin de couper court à cette fâcheuse nouvelle ; c’était de
           me rendre à la gendarmerie. Ce que je fis sur l’heure, spon­
           tanément, même avant d’aller embrasser *mon père, que
           je n’avais pas vu depuis trois ans.
             Le brigadier, qui me reçut chercha dans ses papiers et
           trouva, en effet, un mandat d’arrêt délivré contre moi,, par
           le Parquet de Dreux, depuis l’été de 1891, c’est-à-dire depuis
           plus d’un an.
             J’expliquai le mieux possible mon cas. Je lui montrai
           mes certificats des maisons de Paris où j’avais travaillé,
           et fis tout mon possible pour le convaincre qu’une erreur de
           personne avait été commise, n’ayant jamais été à Dreux de
           ma vie.
             Ce brigadier qui n’avait, en somme, aucune raison de
           m’en vouloir, me rassura quant au présent, me dit que l’affaire
           s’arrangerait certainement, qu’il allait en référer au Parquet
           de Thonon ; mais qu’il était utile de ne pas m’éloigner du
           pays pour le moment, afin de me présenter à la gendarmerie
           à toute réquisition.
             On peut deviner quels furent pour moi les jours d’angoisse
           qui suivirent : je sentais les gens du village plutôt hostiles à
           mon égard, car il est à remarquer qu’en général, le public
           prête plutôt une oreille bienveillante aux calomniateurs
           qu’aux persécutés. Mon père lui-même ne croyait guère à mes
           protestations d’innocence ; seule une vieille marraine me
           réconforta, ne douta jamais de mon innocence, alors qu’un
           mauvais sire, un certain X, avait juré ma perte ainsi, qu’on
           le verra par la suite.     '
             Sur ces entrefaites, je demandai au brigadier la permission
           d’aller chercher ma sœur qui, ignorante de ce qui se passait,
           attendait mon arrivée que je lui avais annoncée; je la fis
           •donc venir et l’installai également à l’hôtel où j’étais des-
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