Page 20 - Vincent_Delavouet
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Mais là, une déception nous attendait. Aucun bateau ne
              faisait le service de l’Amérique pendant l’hiver. On me con­
              seilla d’aller à Liverpool, où le service n’était jamais inter­
              rompu ; ne sachant pas l’anglais, je ne voulus pas me hasar­
              der à me rendre en Angleterre, surtout avec ma sœur. Noüs
              décidâmes de revenir à Paris, et c’est ainsi que le voyage
              d’Amérique fut ajourné.
                A Paris, l’on me conseilla d’aller rendre visite aux Sœurs
              de la rue de Vaugirard, qui pouvaient se charger de recueillir
              et de caser ma sœur, en attendant les événements. Ce fut
              par l’intermédiaire de ma bonne marraine, qui fit intervenir
              les Sœurs d’une institution de mon village, que celles de la
              rue de Vaugirard acceptèrent de se charger momentanément
              de Marie, puis elle fut casée peu après comme domestique. De
              mon côté, je ne restai pas les bras croisés et trouvai à m’em­
              ployer comme charretier chez un marchand de bois à Bondy,
              près Paris, où je restai pendant l’hiver, jusqu’au printemps
              de 1893.
                Comme nous avions, ma sœur et moi, nos dimanches
              libres dans l’après-midi, nous en profitions pour nous voir
              et nous attendions le beau temps pour mettre notre projet
              à exécution. Mais je ne sus jamais pour quelle cause ma
              sœur Marie, changeant brusquement d’avis, vers février 1893,
              me pria de la reconduire chez les bonnes Sœurs de la rue de
              Vaugirard, et me proposa même de m’indemniser des frais
              et dépenses qu’elle m’avait occasionnés : ce que je refusai.
              Je la confiai donc aux bonnes Sœurs, et la recommandai à
              un de mes amis, en qui j’avais la plus grande confiance,
              puisque je le connaissais d’enfance comme voisin de mon
              village. (Cette confiance devait être encore trahie, comme
              on le verra par la suite.)
                Bref, bien décidé cette fois à tenter la fortune en Amé­
              rique, je m’embarquai à Anvers, riche d’illusions, mais la
              bourse très pauvre.
                Je dus, en premier lieu, débourser près de 200 francs
              pour le prix de mon voyage en troisième classe ; il est évi­
              dent que, comparé au prix actuel, c’était peu, mais beau­
              coup pour moi, qui ne possédais à peine que 400 francs pour
              toute fortune.
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