Page 16 - Vincent_Delavouet
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               cendu, avec le ferme espoir de l’emmener avec moi et de
               quitter le pays au plus vite. Comme mes frais d’hôtel
               avaient absorbé déjà une partie de ma réserve d’argent,
             ’ je résolus, toujours persuadé de pouvoir partir incessamment,
               de vendre une parcelle de terre qui m’appartenait en propre,
               comme provenant de la succession de ma défunte mère.
                 C’est à X., dont je ne pouvais soupçonner alors la dupli­
               cité, que je m’adressai pour me trouver un acquéreur.
               J’avais trouvé déjà un amateur, mais le prix offert me
               semblait trop faible. X., lui, me proposa de me mettre
               en pourparlers avec un de ses amis, un certain M. Y., qui
               devait me payer cette parcelle comptant à 350 francs.
                 Le marché fut donc conclu rapidement. Ce que j’ignorais
               alors, c’est que les deux compères (ou plutôt complices)
               s’étaient entendus pour profiter de ma fausse situation
               actuelle, pour me dévaliser. Aidés d’un troisième larron,
               au lieu de rédiger un acte de vente sous-seings privés, ils me
               firent signer un billet constatant que je prêtais audit Y.
               une somme de 350 francs productive d’intérêts à 5 % l’an !!!
                 Le lecteur se demandera, non sans raison, comment je
               fus assez faible, naïf même, pour signer un semblable papier,
               qui n’avait aucune raison d’être, puisque j’attendais ces
               350 francs pour effectuer le voyage d’Amérique projeté.
                 Mais il suffira de se rappeler que j’étais sous le coup d’un
               mandat d’arrêt injustifié, que j’avais alors toute confiance
               en ce sire X (croyant qu’il partageait les idées des siens
               sur mon innocence), que je n’avais aucun guide, aucun sou­
               tien, que des gens hostiles autour de moi. Mon père lui-même
               croyait aussi à ma culpabilité. Toute cette mise en scène,
               en somme, n’avait pour but que de capter ma confiance, et
               profiter de mon désarroi pour se partager sans bourse délier
               le bien qui me venait de ma mère. Et comme un malheur
               n’arrive jamais seul, mes pauvres économies, que j’avais
               stupidement confiées à ces deux meuniers, furent perdues
               pour moi. Depuis plusieurs années je n’avais plus touché
               d’intérêts ; l’un des meuniers, poursuivi par de nombreux
               créanciers, avait tout abandonné en s’expatriant, et ne lais­
               sant que des dettes. Donc, il n’y avait rien à faire de ce côté.
               Quant à l’autre meunier récalcitrant, je mis mon billet de
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