Page 14 - Vincent_Delavouet
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Chapitre III
                             Une erreur judiciaire
                               I
                                                   Octobre 1892.
               C’est ici que s’intercale un fait inouï, invraisemblable,
             une erreur judiciaire, dont je fus victime et qui faillit compro­
             mettre mon avenir et entacher mon honneur.
               Procédons par ordre :
               Depuis quelque temps des idées de voyage me hantaient ;
             j’avais lu sur différents journaux et brochures, qu’en Amé­
             rique du Nord on donnait des terrains gratis à ceux qui
             voulaient les défricher. Et l’ambition de me créer une situa­
             tion indépendante me tentait. J’avais déjà gravi quelques
             échelons : de simple domestique de ferme, j’étais arrivé à
             être commis, pourquoi n’essaierais-je pas de devenir agri­
             culteur ? J’étais à l’âge des illusions, mais j’avais pleine
             confiance en mon étoile, et surtout dans mes bras vigoureux,
             et dans mon désir d’arriver à un résultat par ma volonté.
             D’autre part, mes frères et sœurs étaient morts, à part une
             jeune sœur, Marie, un peu abandonnée, louée comme domes­
             tique près de mon village, avec des gages insignifiants.
             J’avais, en outre, déjà écrit à mon père, encore valide à
             cette époque, et lui avais soumis cet avdacierx projet de
             partir tous trois pour l’Amérique, afin d’y tenter la fortune.
             Ce projet semblait même lui sourire. C’est dans ces disposi­
             tions d’esprit que je quittai ma maison d’alimentation pari­
             sienne, pour venir dans mon village, me concerter avec mon
             père et ma sœur à ce sujet.
               J’arrive donc vers la fin d’octobre 1892, à Lullin, avec
             mes bagages, et, pour ne pas déranger mon père, je descends
             dans le principal hôtel de la localité. Chemin faisant, je
             rencontre un camarade qui m’accompagne jusqu’à ma cham­
             bre d’hôtel. Son attitude plutôt embarrassée aurait dû me
             donner l’éveil. Mais j’étais loin de me douter de la situation.
             Sans me gêner, et tout en lui demandant des nouvelles du
            .pays, je pris possession de ma chambre, c’est-à-dire que je
             plaçai dans les placards et armoires, linge et vêtements que
             j’avais apportés.
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