Page 10 - Vincent_Delavouet
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sible pour les contenter. Sachant conduire les chevaux, on
m’en confia deux, qui me servaient à camionner des muni
tions, denrées, etc., d’un fort à l’autre. Je n’ai pas besoin de
vanter la douceur du climat l’hiver, ni le prix des vivres,
qui était infime à cette époque ; le vin se vendait deux
sous le litre. Avec mon prêt-franc de 2 fr. 50 par jour, je
faisais des économies, d’autant plus que des bons spéciaux,
délivrés pour la subsistance des chevaux, et quelques « ra
biots » pour moi, augmentaient mes ressources. C’est là que
je fis la connaissance d’un Parisien jovial, qui capta ma con
fiance. J’eus le tort de me lier d’amitié avec lui et de lui
raconter mes affaires. Il profita de mes confidences pour
me soustraire différents papiers, entre autres un certificat
ou livret ouvrier qui m’avait été délivré par la Compa
gnie de chemin de fer dont il est question dans le cha
pitre précédent, et je ne me doutais guère alors de l’usage
que cet individu devait faire de ces papiers et du préjudice
que cela me causerait par la suite.
Bref, sans autre incident bien notable, l’époque de ma
libération arriva, vers la fin de l’année de l’exposition pari
sienne de 1889.
Je m’empressai alors de revenir par les voies les plus
rapides dans mon village revoir mon père, ma famille et
mes amis.
Au bout d’une semaine d’inactivité, n’ayant comme pers
pective d’avenir que de reprendre le dur métier de domes
tique de ferme, je résolus d’aller tenter la chance à Paris.
Muni des quelques économies faites pendant ma période
militaire, des intérêts échus de mes deux meuniers, je
bouclai ma valise, et en route pour Paris.
Paris. — J’arrivai dans un mauvais moment. L’exposi
tion universelle venait de fermer ses portes, et l’hiver s’an
nonçait rigoureux. Je trouvai une chambre, ou plutôt un
cabinet noir, rue Doudeauville, à Montmartre, pour le prix
de 20 francs par mois et, en causant à ma logeuse et aux
voisins, je trouvai assez facilement à m’employer chez un
juif, marchand de chaussures, rue de la Chapelle. Moyennant
un appointement ridicule de 60 francs par mois, je devais