Page 8 - Vincent_Delavouet
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         contraint aux travaux les plus pénibles et bien au-dessus de
         mes forces ; à tel point que le froid et la fatigue me contrac­
         tèrent les muscles des mains qui restèrent déformées.
           Ces trois ou quatre années furent pour moi un long cal*
         vaire, je dirais même un martyre, moral et physique, car,
         fourbu de fatigue, tombant de sommeil, jamais un mot
         d’encouragement ni même de pitié, ne venait me réchauffer
         le cœur. Des reproches à profusion, et toujours la crainte de
         n’en point faire assez.
           Bref, vers l’âge de 16 ans, ma position s’améliora légère­
         ment, en ce sens que, de 120 francs par an, mes appointe­
         ments furent augmentés à 160 francs, chez un meunier des
         environs.
           Mais ce supplément de prix fut suivi d’un supplément de
         travail, dont peu de personnes peuvent se faire une idée.
         Levé le premier, hiver comme été, il fallait que mes attelages
         de mulets soient prêts pour charger le grain moulu des
         clients, et aller le porter à domicile. Inutile d’ajouter que,
         tout chétif, lesté d’une simple soupe de farine d’orge
         je manipulais des sacs de 90 et 100 kilos (environ le double
         de mon poids) ; je faisais ainsi plusieurs voyages par jour,
         en rapportant au moulin d’autres sacs de grain à moudre.
         Le soir, exténué, c’était encore une simple soupe d’orge qui
         devait me servir de nourriture, et, une nuit sur deux, je ne
         pouvais dormir que deux ou trois heures, ayant à surveiller
         alternativement, avec mon patron, la marche du moulin, qui
         fonctionnait ainsi jour et nuit.
           Malgré cela, cette existence toute de labeur et de fatigue
         ne me rebuta pas ; j’avais l’amour de mon travail et faisais
         tous mes efforts pour recruter à mon patron des clients
         nouveaux. Le lecteur verra par la suite comment j’en fus
         récompensé !
           C’est ainsi que je restai pendant trois années chez ce
         premier meunier, qui consentit à élever mon salaire de
         40 francs à la fin de la deuxième année et de 40 francs à
         la fin de la troisième, mais qui refusa de continuer à m’em­
         ployer, sous le prétexte que mes gages étaient trop élevés
         (240 francs par an).
           En le quittant, j’eus la faiblesse d’accepter une proposi­
         tion qui consistait à lui confier mes économies, se montant
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