Page 104 - Vincent_Delavouet
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                droit à la moitié du prix payé. Je me trouvais alors assez
                embarrassé, ne voulant pas débourser une nouvelle somme
                et trouvant cette démarche un peu tardive et incorrecte ;
                je crus devoir lui répondre que la vente avait eu lieu régu­
                lièrement dans la journée devant témoins et que je n’avais
                rien à régler avec elle. Elle me menaça d’aller trouver, le
                lendemain, un avocat et j’étais fort perplexe, quand j’appris
                (heureusement pour moi) qu’elle n’était pas mariée, mais
                simplement la maîtresse de mon vendeur.
                  Le lendemain l’affluence des clients fut telle, que je me
                trouvai absolument submergé, et profitai de l’heure du
                déjeuner pour aller supplier mon vendeur de me trouver
                quelqu’un pour m’aider.
                  Il m’envoya une femme d’environ quarante-cinq ans,
                qui était parfaitement au courant de ce genre de commerce,
             v et dont je n’eus qu’à me louer au début. Mais je sentis que
                cette femme avait des vues sur mon célibat, et par la suite,
                son attitude changea complètement à mon égard, lorsqu’elle
                vit que ses coquetteries étaient en pure perte en un mot
                quand elle comprit « qu’il n’y avait rien à faire avec moi ».
                  Cette femme, Miss Benett, avait des mœurs déplorables,
                ainsi que je l’appris par la suite : femme divorcée, elle
                faisait ou avait fait le passe-temps des avocats et hommes
                de robe, elle n’avait rien de caché pour les policiers et n’im­
                porte quel individu lui était bon, selon le caprice du moment.
                Aussi n’eus-je qi.’à m’applaudir de ma ferme résolution de
                rester « inébranlable » et, comme il n’était plus question
                alors de liquider le stock d’épicerie pour installer ma cou­
                tellerie, que les affaires marchaient à souhait, je pris une
                seconde employée, honnête, celle-là, non seulement pour
                aider à la vente, mais avec la mission de surveiller les doigts
                de Miss Benett, que j’avais lieu de me figurer être crochus.
                 J’achetai également une machine automatique à encaisser
               l’argent, avec vérificateur ; tout fut inutile. Elle avait l’œil
                à tout et les « fuites » ne firent qu’augmenter.
                 Beaucoup de familles d’ouvriers prenaient chez moi de
               l’épicerie à crédit et ne payaient qu’à la quinzaine. Souvent
                il fallait aller chez eux pour en obtenir le paiement. C’est
                dans ces sortes de remboursements qu’elle excellait, pour
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