Page 553 - Les merveilles de l'industrie T1
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INDUSTRIE DU SEL. 549
elle trouva un collier et une paire débouclés d'o extraits des strates supérieures, et qui étaient mêlés
reilles de sel rose. Cet ouvrage était travaillé avec avec de la terre glaise, des coquilles et des pétrifi
beaucoup d’art et de délicatesse. Nous passâmes cations; on ne peut employer cette qualité qu’après
ensuite dans la salle du Lustre. Le spectacle qu'offre qu’elle a été lavée. La première couche de sel pur
la Kliska (c’est ainsi que cette salle est appelée par est à mille pieds au-dessous de la surface du sol, et
les mineurs) est majestueux et imposant. Tout au la quantité que l’on en a tirée depuis la découverte
tour régne une forêt de piliers noirs; de chaque de la mine s’élève, d’après les archives, à plus de
côté viennent aboutir des corridors vastes et obs 600 millions de quintaux. Nous passâmes ensuite
curs ; mille arcades se succèdent les unes aux au devant l’obélisque, et nous nous arrêtâmes devant
tres. Du milieu de la voûte descend une immense la salle du Bal. Ici, je ne sais pourquoi, nous n’éprou
girandole de sel cristallisé, dont les branches se vâmes pas ce sentiment de grandeur dont nous avions
prolongent au loin dans tous les sens. Nous mar l’âme remplie dans les autres parties de la mine; le
châmes pendant quelque temps sans jamais ren nombre des colonnes, l’élévation de la voûte, la ri
contrer d’obstacle ; cependant un mugissement chesse des galeries ne frappent plus l’imagination.
épouvantable se faisait entendre, semblable à celui Peut-être que notre esprit s’accoutume difficilement
d’un torrent grossi par l’orage. C’était, en effet, le à voir les beautés grandioses de la nature s'allier au
bruit d’un fleuve souterrain, dont les eaux tom luxe frêle et mesquin de nos salons. Klakowiez fit
baient avec force d’une hauteur prodigieuse et ser allumer plusieurs bougies, dont la clarté se répandit
pentaient ensuite avec tranquillité. Nos enfants ne dans toute l'enceinte, et nous pûmes examiner en
purent résister à ce spectacle ! Je priai Klakowiez de détail chacune des parties, chacun des meubles de
les conduire auprès de quelques ouvriers, dans un cette singulière salle. Klakowiez était un homme
endroit moins horrible, et j’ordonnai à John de les de quarante-cinq ans; pendant sa jeunesse, il avait
surveiller. Pour nous, nous attendîmes le retour du été témoin des fêtes magnifiques qui s’étaient don
guide au pied de la cascade. nées aux salines. Il nous parla surtout de celle qui fut
« Cependant Klakowiez arriva, et nous assura que célébrée en 1813, à l’époque de la retraite du prince
nos enfants étaient à l’abri de fout danger. Il nous Poniatowski. Ma femme prêtait une oreille attentive
conduisit ensuite, en suivant la sinuosité du tor au récit animé du conducteur. La moindre circon
rent, sur un petit escalier d’où nous pûmes aper stance de la narration l’intéressait, et elle faisait
cevoir avec plus de facilité cette vaste enceinte, souvent répéter au guide complaisant les particula
Nous avions à nos côtés une centaine d’ouvriers qui, rités qui la frappaient le plus. Il fallut cependant
une lampe suspendue à la ceinture, coupaient des quitter la salle du Bal; et ma femme s’y décida avec
blocs de sel; le fleuve coulait sous nos pas, une peine. Elle aurait très-volontiers fait le sacrifice de
étendue de sept mille pieds se développait devant ce qui nous restait à voir, pour jouir encore quel
nous; à gauche était la cascade, et sur notre tête ques instants d’un spectacle qui s’accommodait si
une voûte que nos lampes ne pouvaient éclairer, bien à ses goûts. On éteignit les bougies, et nous
et qui s’élevait, à ce que nous assura le guide, à sortîmes.
quatre cent trente-deux pieds au-dessus du sol. « Nous étions retombés dans les ténèbres, et
« Nous parcourûmes ensuite une infinité d’autres comme les lampes ne nous suffisaient plus, les pe
salles non moins intéressantes, des corridors de tou tits garçons qui nous précédaient allumèrent des
tes grandeurs, des allées de toutes dimensions, dont torches. Après quelques détours, nous arrivâmes
les voûtes étaient la plupart soutenues par des pi dans la salle du Lac. Ici, à la lueur des flambeaux se
liers de bois brut. Nous visitâmes ensuite les écu développait à nos yeux comme une vaste nappe, un
ries où quelques chevaux décrépits se reposaient en lac souterrain. L’eau était noirâtre et tranquille;
attendant l’heure de la fatigue. Klakowiez nous sur les rives éloignées s’avançaient des étrangers que
donna mille petits détails sur les salines; il esquissa la curiosité amenait comme nous en ces lieux. Re
en peu de mots le tableau de leur administration, vêtus de leur blouse grise, éclairés par des flambeaux,
nous indiqua les différentes branches de travail on aurait dit les ombres des morts privés de sépul
qu’elles exigeaient, et porta à plus de douze cents ture qui voltigent sur les bords du Styx jusqu a ce
le nombre d’hommes employés à leur exploitation. qu’une main pieuse creuse une tombe à leur dé
Il nous montra des blocs de sel de cinq à six quin pouille charnelle. Pour compléter l’illusion, il y
taux, taillés en forme cylindrique pour les transpor avait sur le Przykos (c’est le nom du lac) une barque
ter avec plus de facilité, les tonneaux remplis de amarrée à une chaîne de fer. Une voix lugub e nous
débris pilés et de petits éclats. Il nous fit distinguer demanda d’un ton brusque si nous voulions nous
les quatre espèces de sel qui forment les roches de embarquer. Nous nous approchâmes, les autres
Wieliska : le sel brut, ou sel grossier; le sel vert, étrangers imitèrent notre exemple; et nous tentâ
ou zielow ; le sel blanc, appelé szilikawa, et le mes ensemble la traversée. Deux bateliers dirigèrent
sel cristallisé, transparent, qui porte le nom de notre esquif sur les eaux pesantes du lac infernal.
oczknvata. Il nous présenta des morceaux de sel Le tourbillon de fumée que répandaient nos torches,