Page 543 - Les merveilles de l'industrie T1
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INDUSTRIE DU SEL.                                 539


           obtenir un sel pur et sans amertume.      jusqu’au xive siècle la mer arrivait à Bou­
             Les marais salants des anciens ne devaient   teilles, puisque des nefs remontaient jusqu’à
           pas toutefois différer beaucoup des nôtres.   ce point, pour y prendre des charges de sel.
           Leur sel de cuisine avait les mêmes quali­  On ne saurait fixer, tant elle est ancienne,
           tés de fraîcheur, de sapidité et d'absence   l’époque où, pour la première fois, furent
           d’amertume qui distinguent celui de nos   créées les salines du Portugal, non plus que
           jours. Il faut donc admettre que les anciens   les mines de sel gemme et d’argiles salifères
           sauniers savaient se débarrasser des sels   de l’Angleterre, et les sources salées de l’Al­
           amers, c’est-à-dire des sels magnésiens qui   lemagne. C’est au xme siècle que le sel
           restent mêlés au chlorure de sodium après   gemme fut extrait pour la première fois des
           l’évaporation de l’eau de la mer. Nous pen­  mines de Wieliczka, en Pologne.
           sons que, comme on le fait aujourd’hui, ils   11 n’y eut donc aucune interruption de­
           éliminaient les sels de magnésie par une   puis l’antiquité jusqu’à nos jours dans l’art
           simple exposition des tas de sel à l’air libre   d’extraire le sel de ses sources naturelles.
           et à une pluie légère. Dans ces conditions,   Tout porte à croire que nos sauniers moder­
           les sels de magnésie attirent l’humidité at­  nes de l’Océan et de la Méditerranée exercent
           mosphérique et s’écoulent, laissant le chlo­  une industrie qui s’est transmise, sans grand
           rure de sodium pur et sans amertume.      changement, de génération en génération,
             Des Romains, des Gaulois, des Germains   depuis les Gaulois jusqu’à nous.
           et des habitants de l’Ibérie, l’art d’extraire   Le seul document exact que nous puis­
          le sel se transmit aux descendants de ces   sions citer, concernant la manière dont le
          peuples. Les anciennes chroniques de notre   sel était extrait chez les peuples qui nous
          pays nous montrent les marais salants éta­  ont précédés, est un chapitre du célèbre
          blis en Normandie dès le vne siècle après   traité de Georges Agricola, le plus ancien
          Jésus-Christ. Un savant archéologue de Nor­  des écrivains minéralogistes. Dans son ou­
           mandie, M. l’abbé Cochet, nous a appris dans   vrage De re metallicà (Science des métaux],
          un mémoire sur les anciennes industries    Agricola consacre un chapitre (le xne) à la
           de la Seine-Inférieure, publié en 1843, qu’il   description des opérations qui servent à
           est fait mention des salines de Routeilles,   retirer le sel des eaux de la mer, ainsi
          près de Dieppe, dans une charte du roiChil-   que des sources salées. Des gravures sur
           déric II, donnée à Saint-Lantberg, en 672.  bois accompagnent presque chaque page de
             Pendant les xie et xue siècles, il existait des   ce livre, publié pour la première fois à
           marais salants sur tout le plateau renfermé   Leipzig, en 1546, ce qui montre, pour
           entre le cap de la Hève et la falaise d’Or-   le dire en passant, que l’illustration des
           cher, notamment à Granville, à Harfleur, à   ouvrages scientifiques au moyen de gra­
           l’Heure et même à Monville. Jusqu’au      vures sur bois, ne date pas d’hier. Ces des­
          xvme siècle il y eut des marais salants au­  sins, malgré leur perspective naïve, sont
           tour du Havre, là où existaient naguère les   extrêmement précieux pour l’histoire de la
           fossés et les fortifications de la ville. Mais   métallurgie et de la chimie. Ceux qui nous
           les marais salants les plus importants de la   intéressent, comme se rapportant à l’extrac­
           Normandie étaient ceux de Bouteilles, près   tion du sel, sont nombreux. Ils ne concer­
           de Dieppe, que nous venons de citer comme   nent pas seulement l’extraction des eaux de
           existant dès levmc siècle. Ces marais salants   la mer, mais ils se rapportent également à
           acquirent leur plus grande importance pen­  l’extraction, par évaporation, des eaux des
           dant les xie et xne siècles. U est établi que   sources et fontaines salées.
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