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536 MERVEILLES DE L’INDUSTRIE.
férence sur toutes les autres espèces. Tout lieu où vent du midi. La fleur de sel ne se forme que par les
l’on trouve du sel est frappé de stérilité et ne pro vents de l’aquilon. Le sel deTragosaet le sel d’Acan-
duit rien. Voilà tout ce qu'il y a de sels natifs. thus, ainsi nommés du nom d’une ville, ne décrépitent
Quant au sel factice, il est de diverses sortes. Le sel ni ne pétillent au feu, non plus que l’écume et les
commun, et le plus abondant, se fait dans les salines raclures de sel, ni le sel très-fin. Le sel d’Agrigente
avec l’eau de la mer qu’on y répand, non sans y résiste au feu, et décrépite dans l’eau. Il y a aussi
faire arriver de l’eau douce, mais surtout avec le se des différences de couleur : rouge à Memphis, le sel
cours de la pluie et de beaucoup de soleil, sans quoi est roux sur les bords de l’Oxus et pourpre à Centu-
le sel ne sécherait pas. En Afrique, aux environs ripes. A Géla, en Sicile, il est si luisant, qu’il réfléchit
d’Utique, on forme des amas de sel semblables à les images des objets. En Cappadoce, on a un sel
des collines; quand ils se sont durcis par l’action du fossile, couleur de safran, transparent et de très-
soleil et de la lune, l’eau ne peut plus les liquéfier, bonne odeur. Pour les usages médicaux, les anciens
et c’est à peine si le fer les entame. Dans la Crète, estimaient surtout le sel de Tarente ; après celui-là,
cependant, on fait du sel sans eau douce; on se con tous les sels marins, et, parmi ces derniers, princi
tente d’introduire l’eau de mer dans les salines. En palement celui qui provient de l’écume de mer.
Égypte, le sel est formé par la mer elle-même qui se Pour les maladies des yeux des bêtes de somme et
répand dans le sol, où, je pense, le Nil a déposé un des bœufs on se sert du sel de Tragosa et du sel de
suc. Il se fait encore avec l'eau de puits qu’on amène la Bétique (1). »
dans les salines. A Babylone, le premier produit de
la condensation est un bitume liquide semblable à Comme on vient de le voir, les anciens
l’huile, et dont on se sert même pour les lampes.
Cette substance enlevée, le sel se trouve dessous. En accordaient des propriétés spéciales aux sels
Cappadoce, on introduit dans les salines de l’eau de de différentes provenances. De tous les sels
puits et de fontaine. En Chaonie, on fait bouillir fournis par la mer, ceux de Salamine, en
l’eau d’une fontaine, et par le refroidissement on
obtient un sel faible qui n’est même pas blanc. Dans Égypte, étaient les plus estimés pour l’usage
la Gaule et la Germanie, on verse de l’eau salée sur médical. Parmi les sels provenant des eaux
des bois enflammés. des étangs, on recherchait les sels de Ta
« Dans une partie de l’Espagne, on tire des puits
une eau appelée saumure, et on croit qu’il n’est pas rente et de Phrygie, pour le même emploi.
indifférent de la verser sur tel ou tel bois : le meil Les Romains appréciaient comme nous
leures! le chêne, la cendre qui en provient ayant par les qualités du sel pour les assaisonnements
elle même le goût de sel. Ailleurs, on recommande
le coudrier. Ainsi, on verse de l’eau salée sur du culinaires, et sous ce rapport la page sui
bois, on change le charbon même en sel. Tout sel vante de Pline semble être écrite d’hier :
fait avec du bois est noir. Je trouve dans Théophraste
que les Ombriens étaient dans l’habitude de faire « Le sel sert de sauce, il excite l’appétit, il relève
bouillir dans de l’eau des cendres de roseaux et de tous les aliments; et le fait est que. parmi les in
joncs, jusqu’à ce qu’il ne restât plus que peu de li nombrables assaisonnements dont nous usons, le
quide. On fait aussi recuire la saumure des salaisons, goût propre au sel domine toujours. En mangeant
et quand tout l’humide est évaporé, le sel reprend du garum, c’est encore la saveur du sel qu’on re
sa forme. Le plus agréable est celui qui provient de cherche. Bien plus, rien mieux que le sel ne donne
la saumure de mènes. appétit aux bêtes à cornes et bêtes de somme. Il
« Parmi les sels extraits de la mer, le plus estimé augmente la quantité du lait, et donne meilleur
est celui de Salamine, de Chypre; parmi les sels goût au fromage. On ne peut donc vivre agréable
d’étangs, celui de Tarente et celui de Phrygie, qu’on ment sans sel. C’est une substance tellement né
nomme de Tatta ; ces deux sels sont bons pour les cessaire, que le nom en est appliqué même aux
yeux. Celui qu’on apporte de Cappadoce, dans des plaisirs de l’esprit; on les nomme en effet sales (sels).
vaisseaux donne, dit-on, de l’éclat à la peau ; celui Tous les agréments de la vie, l’extrême gaieté, le
que nous avons appelé de Citium en efface mieux délassement du travail n’ont pas de mot qui les
les rides ; aussi en frotte-t-on, avec de la nielle, le caractérise mieux. Il entre aussi pour quelque
ventre après l'accouchement. Plus le sel est sec, chose dans les honneurs et les rétributions militai
plus il est salé. De tous, celui de Tarente est le plus res, puisque c’est du mot sel que vient le mot de
agréable et le plus blanc. Au reste, plus le sel est salaire. Le sel était en grande estime chez les an-
blanc, plus il est friable.
La pluie adoucit toute espèce de sel ; mais la rosée (1) Histoire naturelle de Pline, traduction de Littré, t. II,
le rend plus agréable. Le vent d’aquilon en rend la pages 360-362, publiée dans la Collection des auteurs la
formation plus abondante; il ne s’en fait pas par le tins, de Dubochet, grand in-8°, Paris, 1850.