Page 37 - Decrets mars
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    Mm•  Mudry  repas~e  le  seuil  de  l'église et accourt auprès de sa
    sœur,  M •  de  Pignier,  au  moment ou  celle-ci  refltse d'obtem-
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    pérer aux  sommations  des  agents:  « Si  c'est  au  nom  de  la
    liberlé que  vous  agissez ainsi,  leur dit  M"•  de  Pignier,  j'ai le
    droit  de  rester  et  ,ie  reste ;  je vous  plains,  ajoute-t-elle,  en
    voyant  l'air  peiné des  gendarmes,  mais  pour vous,  lieutenant,
    rien  ne  vous  obligeait  d'obéir,  rien  ne  vous  excusera!  »
    Mm•  Mudry joignant  ses reproches  à ceux  de  Mil•  de  Pignier,
    s'écrie :  « Monsieur,  j'ai  quatre  fils,  j'aimerais  mieux  mourir
    que  de  voir  l'un  d'eux  commettre votre  action. »  Toutes  les
    deux sont menacées d'être conduites en  prison:  « Tant mieux,
    répond  Mm•  Mudry,  c'est  aujourd'hui  la  place  des  honnêtes
    gens, traînez-nous  en prison, ce  sera  notre gloire! » Immobile,
    calme,  indignée,  la veuve  de  M.  l'avocat Dessaix, ancien  prési-
    dent du  conseil  général,  attend  son  tour  et sort la  dernière de
    la chapelle avec Mil•  de Pignier.
      Ce  drame  sacrilège,  palpitant  d'horreur  et  de  dégoùt,  est
    enfin  accompli.  Monsieur  le  lieutenant  de  gendarmerie et l'un
    de  ses  hommes,  un  seul,  malheureusement  savoyard,  ont
    dr.ployé  dans  cette  lutte  une  force  d'expressions  et  de
    poignets qui  les  ont  signalés  particulièrement  à  l'attention de
    ces dames.  Quant à M.  Carion  il s'était dérobé  prestement anx
    cris et aux apostrophes.
      Les  larmes  de  cette  population chassée  du  temple  de  Dieu
    ont louché  jusqu'aux  fonds  des  cœurs  les  soldats  de garde;
    plusieurs s'essuient  les  yeux  ;  l'un  d'eux  dit  à  l'une  de  ces
    saintes  femmes :  « Mademoiselle,  je  vous  en  prie,  demandez
    pardon  à Dieu pour  nous...  Quelle affreuse corvée!. ..  »
      Dans  la  petite cour,  au pied  de  la  croix, se  tiennent  encore
    quelques  femmes,  il faut  de  nom·ean  les  en  arracher.  On  les
    refoule jusqu'au bord du  chemin.
     Cependant,  les  religieux sont  dans leurs  cellules  en  compa-
    gnie de leurs amis.  Ils  attendent le  moment de  leur  expulsion :
    quelques-uns  peuvent  suivre  de  leur  fenêtre  la  scène  dont
    nous  venons  de  parler.
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