Page 184 - Bouvet Jacques
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             C-Jurage  religieux  dans  les  campagnes  des  environs  de
             Thonon,  ce  fut l'enlèvement  de  plusieurs  cloches  qui  sta-
             tionnaient devant le corps de  garde, sur la place de la Li-
             berté, à  Thonon.  Les  paysans  des  communes  du  Chablais
             voyaient  dans ·1•exhibition  de  ces  cloches  une  insulte  à
             leurs sentiments religieux et un vol sacrilège.  C'était à qui
              pourrait reprendre  son  bien  ou  l'équivalent.  Ces  pauvres
              cloches  étaient là,  sur cette  place,  comme  des  épaves  sa-
              crées  à  recueillir,  comme un  défi  insultant à  relever  pour
              ces  religieux  campagnards.  Une  sorte  de  concert s'établit
              entre eux. Aussi, dans la journée du 1 or  juin 1795 (13 prai-
              rial  an  m), on  vit arriver  en  ville  quelques  gros  chariots,
              sans  chargement.  Les  voituriers  employèrent  le  reste  de
              la  journée  à  préparer  en  silence  leurs  moyens  d'action.
              Les  gardes  nationaux,  qui  devaient  être  de  faction  pen-
              dant la nuit, s'étaient prêtés à de copieuses libations. Quel-
              ques  chefs  avaient promis de ne rien  voir.
                A  minuit,  des  masses  de  paysans  arrivent  sans  bruit
              de  Féterne, de Lugrin, de Saint-Paul et du Bas-Chablais ;
              le.~  chariots sont amenés de divers  côtés sur la place de la
              Liberté.  En peu  de temps,  quatre grandes  cloches  :t  sont
              installées. Charles Magnin, pour lors chef du poste, s'aper-
              çoit, un peu tard, de ce  qui se passe et court au tambour.
              A  peine  a-t-il commencé un  roulement,  qu'il est désarmé,
              lui  et  tous  ses  hommes.  Au  premier  coup  de  la caisse,  le
              commandant  des  canonniers  survient  à  son  tour;  il  est
              désarmé, baîllonné et retenu  prisonnier comme les  autres.
              Les  chariots  étaient  déjà  bien  éloignés,  lorsque  les  cam-
              pagnards  rendirent  la  liberté  aux  hommes  du  poste  et
              rejoignirent  les  attelages.
                Le  15 prairial, le Directoire de  Thonon charge la Muni-
              cipalité  de  procéder  de  suite  aux  informations.  La  garde
              du  poste  se  justifia  de  son  mieux  et  l'enquête  n'amena
              aucun résultat.
                Aujou:-d'hui  encore,  Féterne  et  Saint-Paul  conservent
              précieusement à leur beffroi les cloches enlevées dans cette
              nuit  mémorable.
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