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              qu’elle fit ériger dans le parc, le Petit Trianon.  tionné, mais dénué de goût, Louis-Philippe décida
                Après la mort de la Pompadour les faveurs du     en 1831 de transformer le palais en musée. Pour
              roi allèrent à la célèbre Mme Du Barry et les      réaliser ce projet, de merveilleuses sculptures
              folles dépenses continuèrent. La Cour vit alors    furent massacrées ; un badigeon d’un gris écœu­
              arriver une jeune personne de quatorze ans,        rant recouvrit les dorures splendides et les délicats
              Marie-Antoinette. Jolie, gracieuse et légère, elle   vernis. On rogna et tailla des tableaux inesti­
              venait d’Autriche pour être l’épouse du dauphin,   mables pour les faire tenir sur des pans de mur.
              un gros garçon de seize ans, le futur Louis XVI.   Versailles, qui avait été le noble modèle de tant
              La jeune dauphine, que personne ne conseillait,    de châteaux dans toute l’Europe, était mainte­
              donna libre cours à son exubérance dans de         nant méprisé comme un témoin des malheurs pas­
              coûteuses distractions qui lui valurent d’être     sés. Une dernière humiliation devait lui être
              vivement critiquée. Elle avait dix-huit ans lorsque   infligée en 1871, lorsque, après la défaite de la
              Louis XV mourut de la petite vérole. Ce jour-là    France, FEmpire allemand fut proclamé dans la
              Marie-Antoinette et son mari, étroitement unis     Galerie des Glaces.
              dans le chagrin, s’écrièrent en pleurant qu’ils       Mais la France et Versailles n’étaient pas morts.
              étaient trop jeunes pour régner. Mais c’était leur   Quand, en 1875, à une voix de majorité, le pays
              tour, et la loi des Bourbons était implacable...   adopta officiellement le régime républicain, c’est
                Cependant, le peuple exaspéré par la peur de     à Versailles que le Sénat et la Chambre des
              la famine grondait et maudissait Marie-Antoi­      députés se réunirent.
              nette. Il l’accusait d’être la cause des difficultés   Douze ans plus tard, le triste musée vit arriver
              économiques qui s’étaient accumulées en fait pen­  un nouveau conservateur. C’était un jeune savant
              dant plusieurs règnes. Le 14 juillet 1789 les Pari­  et poète nommé Pierre de Nolhac. Dans le laby­
              siens abattirent la sinistre prison de la Bastille.   rinthe des appartements et des greniers laissés à
              Le 5 octobre l’émeute arriva jusqu’aux grilles du   l’abandon, dans les piles d’archives poussiéreuses,
              château de Versailles, et ce jour-là le palais cessa   Nolhac retrouva des témoignages de la beauté
              de vivre.                                          dont Versailles avait jadis brillé. Petit à petit il
                Toute la nuit, une foule menaçante tourna        reconstitua l’image du palais. Ses livres aidèrent
              autour. La famille royale terrorisée se serrait    le public à mieux apprécier la valeur de ce prodi­
              auprès du roi. A l’aube on entendait encore les    gieux héritage national.
              hurlements de la populace qui réclamait « l’Autri­    La fin de la dernière guerre allait voir l’espoir
              chienne ». Rassemblant un courage qui ne devait    se lever de nouveau sur le vieux château. Ver­
              plus la quitter, Marie-Antoinette apparut au bal­  sailles, cette Belle au Bois dormant, fut réveillée
              con central. Mais la foule hurlante exigeait le    par ses amis, dont les dons généreux permirent
              retour des souverains à Paris... où la guillotine les   les réparations nécessaires. Les 11 hectares de
              attendait. Comme la famille royale montait en      toiture ont été sauvés de l’effondrement. L’une
              voiture, le roi se tourna vers le gouverneur du    après l’autre, les pièces ont été débarrassées de
              palais qui demeurait sur place et lui dit triste­  leur affreux badigeon et repeintes de couleurs
              ment :                                             pastels. Les ferronneries ont retrouvé la splendeur
                — Tâchez au moins de sauver mon pauvre           de leurs dorures.
              Versailles !                                         Actuellement, les jardins sont soigneusement
                Ce fut pour le palais le début d’une lamen­      entretenus. Certains dimanches d’été les grandes
              table période de déchéance. Il fut déserté presque   eaux de Louis XIV fonctionnent, plus étincelantes
              du jour au lendemain. De lourdes charrettes        que jamais. Les somptueuses fêtes de nuit elles-
              vinrent enlever le mobilier et chaque pièce fut    mêmes ont repris, procurant de l’argent qui sert
              dépouillée de tout ce qui lui donnait vie. Les     aux travaux de restauration. Quand les lumières
              mauvaises herbes envahirent les allées du parc     jouent ainsi sur le palais et que l’obscurité des
              et le chiendent poussa entre les pavés de la       bosquets retentit du son des voix et des instru­
              cour.                                              ments de musique, on dirait que le Grand Siècle
                                                                 ressuscite. Et lorsque dans la nuit les gerbes du
              Après le pauvre Louis XVI, il fallut attendre
                                                                 feu d’artifice retombent à la rencontre des jets
              le roi Louis-Philippe pour qu’un chef d’Etat       d’eau, Versailles semble vivre, Versailles semble
              s’intéressât vraiment à Versailles. Bien inten­    immortel.
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