Page 126 - Album_des_jeunes_1960
P. 126

124                      j’ai désamorcé une bombe atomique

              se dresse sur la plaine de Yucca. Je le fixe avec   aller effectuer le désamorçage, il faudra donc nous
              effarement parce qu’à l’heure qu’il est ce pylône   servir de l’échelle métallique : soit trois cents
              devrait avoir disparu. Il devrait être atomisé,    échelons à grimper, tous les trois l’un der­
              volatilisé. Pourtant il est toujours là. La lueur du   rière l’autre, en sachant que la moindre secousse
              projecteur qui brille à son sommet se détache      peut ébranler les circuits dans la cabine et déclen­
              toujours contre le ciel. Et là-haut/ sous le projec­  cher l’explosion.
              teur, à l’intérieur de cette petite cabine métal­    Deuxième difficulté : en quittant la cabine,
              lique, qui ne fait pas plus de cinq mètres sur cinq,   après avoir amorcé la bombe, j’ai assujetti très
              repose un engin nucléaire amorcé, prêt à partir.   soigneusement avec du fil de fer la porte qui
                C’est moi-même qui l’ai amorcé, il y a trois     donne sur l’échelle. Pour entrer, il va donc falloir
              heures à peine. Et maintenant, h voix de mon       scier ce fil de fer et cela, toujours, sans causer la
              chef, Alvin Graves, rompt le soui d silence qui    moindre secousse.
             règne à l’intérieur du blockhaus :                    Alors seulement, une fois dans la cabine, nous
                — Mon vieux Clark, j’ai l’impression que tu es   pourrons procéder à la phase la plus dangereuse
              de corvée de désamorçage...                        de l’opération : arracher l’un après l’autre les deux
                Il fallait s’y attendre. Au cours d’une soixan­  câbles électriques qui relient la bombe au dispo­
              taine d’essais nucléaires effectués entre 1945 et   sitif de commande.
              1952, j’ai totalisé le maximum d’amorçages de        Bien entendu, arracher un seul de ces câbles
              bombes. S’il fallait que quelqu’un se dévoue pour   peut amplement suffire à faire éclater l’engin.
              monter au sommet du pylône et désamorcer
              celle-ci, il était tout naturel que ce fût moi.    U ne heure s’est écoulée depuis le raté. C’est
                Pour commencer, nous vérifions tous les cir­     maintenant que le cauchemar va commencer.
              cuits aboutissant au contrôle : nous ne trouvons     Au centre de contrôle, une voiture nous
              rien d’anormal. Et, là-bas, dans la tour, rien ne   attend. Je sens mon cœur battre à grands coups.
             bouge.                                              John et Barney, qui montent à côté de moi, ne se
                Je donne ensuite l’ordre d’évacuer tout le per­  sv.itent pas plus brillants. J’ouvre la radio de la
              sonnel, y compris les officiers et les soldats qui   voiture et j’entends la voix du Dr Graves :
              attendent toujours dans leurs tranchées. Puis je     — Surtout, Clark, restez constamment en
              me réunis avec les autres techniciens pour exami­  contact avec nous !
             ner le problème sous toutes ses faces.                La route qui va du centre de contrôle à la tour
                Voici quel est le résultat de nos délibérations :   est droite Comme un I. Elle traverse ce que nous
              théoriquement, il y a peu de chances pour que      appelons les trois zones de l’explosion. Dans la
             la réaction nucléaire se déclenche au moment où     première zone, entre huit et cinq kilomètres de
             je désamorcerai l’engin. Oui, mais théoriquement    la tour, l’éclair de l’explosion peut vous rendre
             cette réaction aurait dû se produire.               aveugle ; à moins de cinq kilomètres, on risque les
                Finalement, il est décidé que deux assistants,   terribles brûlures atomiques. Enfin, si on se trouve
             Barney O’Keefe et John Wieneke, vont m’accom­       dans la troisième zone, à moins de deux kilomètres
             pagner en qualité de conseillers.                   de la tour, on n’a aucune chance de s’en sortir
                                                                 vivant.
             D eux circonstances particulières doublent le         Nous arrivons à la première étape de notre
             danger de ce désamorçage. Pour me faire mieux       trajet et je branche la radio pour l’annoncer au
             comprendre, je vais vous décrire la tour d’explo­   centre de contrôle :
             sion et la façon dont elle avait été équipée.         — Groupe de désamorçage parvenu au poste
                Le pylône était constitué par une sorte de der­  de sectionnement.
             rick en acier, de forme triangulaire, surmonté par    Le poste de sectionnement, situé à 3,5 km de
             une cabine métallique. Lé long d’un des montants   la tour, est un petit bâtiment à toit pointu dont
             courait une échelle métallique ; le long d’un       l’unique porte d’acier s’ouvre du côté opposé à_
             autre on avait installé un ascenseur qui avait servi   la tour et dont les fenêtres — qui ont 1,50 m de
             à nous transporter au sommet de la tour et à y      côté — s’enfoncent dans des murs épais de
             monter la bombe.                                    50 centimètres. A l’intérieur du bâtiment, se
                Or, première difficulté, une fois la bombe      trouve, avec une multitude d’appareils de
             installée, nous avions démonté l’ascenseur.. Pour   contrôle, l’interrupteur principal, commandant le
   121   122   123   124   125   126   127   128   129   130   131