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582                   MERVEILLES DE L’INDUSTRIE.


                     eide arsénieux. Il résulte, en effet, des rele­  sucé des allumettes chimiques ; tantôt ce
                     vés statistiques communiqués par la Chan­  sont des hommes qui sont en proie aux plus
                     cellerie, que, depuis 1826 jusqu’en 1845, le   graves accidents, pour s’être servis, par mé-
                     nombre des accusations d’empoisonnement   garde, d’une allumette phosphorée en guise
                     portées devant les Cours d’assises s’était   de cure-dent; tantôt, enfin, ce sont des mal­
                     élevé à 616, et que, sur ce nombre, 410 en­  heureux ouvriers, de pauvres jeunes filles
                     viron se rapportaient à des empoisonnements   qui, par désespoir, s’empoisonnent avec de
                     par l’arsenic. Jusqu’à cette époque, aucun   l’eau dans laquelle ils ont fait tremper des
                     empoisonnement par le phosphore n’avait   allumettes chimiques. Il est triste de penser
                     encore figuré dans nos annales judiciaires.  que, par suite de la connaissance générale­
                       Depuis 1846, un grand nombre d’empoi-   ment répandue des propriétés vénéneuses de
                     sonnemenls par les allumettes chimiques ont   la pâte phosphorée des allumettes, par la ter­
                     été soumis aux Cours d’assises. On doit à   rible action toxique de cette matière, et par
                     MM. Chevalier père et fils, à M. Henry fils,   l’absence de tout caractère vraiment spéci­
                     à MM. Cloquet et Caussé, d’Alby, divers re­  fique des accidents qu’elle occasionne, beau­
                     levés statistiques sur les empoisonnements   coup d’empoisonnements criminels accom­
                     par le phosphore. Si l’on .s’en rapporte à un   plis au moyen du phosphore, passent aujour­
                     relevé fait par l’un de ces observateurs, des   d’hui inaperçus des agents de la justice.
                     cas d’empoisonnement qui ont été soumis      Le second inconvénient attaché aux allu­
                     au jury dans une période de six ans, de­   mettes chimiques concerne la fâcheuse in­
                     puis 1846 jusqu’en 1852, le phosphore tenait   fluence que leur fabrication exerce sur la
                     déjà, dès cette époque, la troisième place   santé des ouvriers employés à ce travail.
                     parmi les substances toxiques employées par   La toux, les bronchites, les maux de tête,
                     la main du crime. L’acide arsénieux occu­  les coliques et les douleurs d’estomac, s’ob­
                     pant toujours le premier rang, les sets de   servent fréquemment dans les fabriques de
                     cuivre occupaient le second, le phosphore   phosphore ou dans les ateliers qui servent
                     venait le dernier. Les empoisonnements par   à la préparation de la pâte phosphorée, au
                     les allumettes chimiques, rares d’abord, sont   trempage de ces allumettes dans la pâte, au
                     devenus très-nombreux en peu d’années ; ils   démontage des cadres et à la mise des allu­
                     ont augmenté à mesure que les empoison­    mettes en boîtes ou en paquets. Mais à cela
                     nements par l’acide arsénieux diminuaient   ne se bornent pas les accidents. Les ouvriers
                     en nombre. Et l’on ne peut s’en étonner.   des fabriques de phosphore et d’allumettes
                     Grâce aux précautions qui sont prises au­  chimiques sont sujets à une maladie cruelle,
                     jourd’hui par l’autorité, les criminels se pro­  désignée sous le nom de nécrose phosphori-
                     curent difficilement l’arsenic, tandis que la   que, qui a pour caractère une carie plus ou
                     pâte vénéneuse qui forme les allumettes    moins étendue des os de la mâchoire.
                     phosphoriques, se trouve partout, à la portée   L’existence de cette grave affection a été
                     de chacun, et les classes les moins éclairées   signalée pour la première fois par des
                     de la société connaissent parfaitement ses   médecins allemands, .MM. Diez, Sicherer,
                     propriétés funestes.                       Blumhart et Geist. En 1845, M. Lorinser
                       L empoisonnement par les allumettes chi­  publia neuf observations de nécrose phos-
                     miques, criminel ou accidentel, a donc pris   phorique, qu’il avait recueillies dans quel­
                     des proportions effrayantes. Tantôt ce sont   ques fabriques de Vienne. Les professeurs
                     des enfants qui succombent après avoir     Heyfelder, Strohl et Sédillot, firent connaî­
                     mangé de la pâte phosphorée ou après avoir   tre, pendant la même année, plusieurs fait'
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