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LE PHOSPHORE.                                   527

         chercher la pierre philosophale. C’est ce   vain. Cette obstination désespérait Kunckel.
         qu’avait fait Brandt, qui, à cette première   Il ne put s’empêcher de s’en ouvrir à l’un
         qualité d’alchimiste, avait ajouté ensuite   de ses amis de Dresde, Kraft, conseiller de
         le titre de médecin.                      l’Electeur de Saxe, qui s’occupait des scien­
           Conformément aux errements de l’épo­    ces, et dont il a cité quelques travaux dans
         que , Brandt cherchait la pierre philoso­  son Art de faire le verre. Il lui écrivit, à
         phale. Seulement, il la cherchait où on ne   Dresde, pour lui raconter ce qui précède.
         l’aurait guère soupçonnée. A défaut de pé­  Connaître le procédé de préparation d’une
         riphrase décente, nous laissons à la sagacité   substance aussi rare, aussi curieuse que le
         du lecteur le soin de deviner dans quel liqui­  phosphore, c’était, vu le genre des relations
         de normal, expulsé du corps humain, notre   qui existaient alors entre les savants, possé­
         alchimiste cherchait la pierre philosophale.   der un trésor d’un grand prix. Ainsi le pensa
         Dans ce liquide, il n’avait rien trouvé qui   très-judicieusement Kraft le chimiste con­
         ressemblât, de près ni de loin, à la pierre phi­  seiller. Cette conviction devait même être
         losophale. Il arriva pourtant, un jour, qu’en   chez lui bien profonde, car elle l’amena à
         calcinant dans une cornue de fer le résidu   commettre, envers son ami Kunckel, un
         de l’évaporation de ce liquide, mêlé avec   trait de déloyauté.
         du sable, Brandt vit apparaître un corps    A peine informé, par la lettre de Kunckel,
         dont les propriétés étaient fort extraordinai­  de ce qui se passait à Hambourg, Kraft, sans
         res. Cet étrange produit s’enflammait à l’air,   rien répondre à son ami, s’empresse de partir
         il répandait dans les ténèbres une lueur   pour cette ville. Il va secrètement trouver le
         très-vive, et permettait de tracer, dans l’obs­  docteur Brandt, et après de longues négocia­
         curité, des caractères qui brillaient toute   tions, il lui achète, pour deux cents thalers
         une nuit. C’était, en un mot, notre phos­  (huit cents francs de notre monnaie), le se­
         phore actuel.                             cret de la préparation du phosphore.
           Aussi, lorsque Kunckel arriva dans la ville   11 paraît que, dans cette affaire, l’alchi­
         de Hambourg, pour y faire connaître les se­  miste Brandt, possesseur du secret tant con­
         crets et les merveilles du phosphore de Bau­  voité, fut sublime de diplomatie. Il était
         douin, la ville de Hambourg haussa les épau­  à la fois en pourparlers avec trois acheteurs:
         les, disant qu’elle avait elle-même de bien   avec Kraft, avec Kunckel et avec un chimiste
         autres merveilles à lui montrer, et qu’il se­  italien. Il mena de front ces trois négocia­
         rait suffisamment édifié sur ce point, s’il   tions, avec un aplomb et une adresse qui
         voulait seulement prendre la peine de se   rendent difficile à comprendre l’échec qu’il
         transporter chez le docteur Brandt.       avait subi dans les affaires commerciales.
           Dix minutes après avoir reçu cet avis,   C’est ainsi, par exemple, que se trouvant,
         Kunckel entrait chez l’alchimiste Brandt.   un jour, en conférence avec Kraft, pour dé­
         11 trouva un homme singulièrement mysté­  battre les conditions de son marché, il voit
         rieux et réservé, qui consentit, à grand’peine,   entrer chez lui Kunckel. Aussitôt, il fait
         à exhiber son phosphorus, et crut accorder   passer le premier négociateur dans une
         à son visiteur une faveur insigne, en dai­  pièce voisine, et s’excusant auprès de
         gnant lui confier de quel liquide naturel il   Kunckel de ne pouvoir le recevoir, en rai­
         savait extraire ce produit.               son d’une maladie de sa femme, il l’écon­
            Kunckel prolongea assez longtemps son   duit, protestant d’ailleurs que, depuis quel­
         séjour à Hambourg, dans l’espoir de triom­  que temps, il a perdu son fameux secret, que
          pher des résistances de Brandt ; maisce fut en   vainement il s’est efforcé de le retrouver, et
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