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                    semaines et quelquefois de plusieurs mois.   lors, il agit avec activité sur la matière colo­
                    C’est donc ordinairement dans la belle sai­  rante des tissus, et finit par la détruire en­
                    son que l’on procède à cette opération,    tièrement, c’est-à-dire par décolorer le tissu.
                    puisque la lumière du soleil hâte considéra­  Dans le blanchiment sur le pré, ce n’est
                    blement le résultat.                      donc pas l’oxygène ordinaire de l’air qui
                       11 n’est pas nécessaire de faire un grand   agit, mais l’oxygène transformé en ozone.
                    effort de réflexion pour comprendre qu’un    Ce mode de blanchiment est à peu près
                    tel procédé de blanchiment soit très-onéreux.   complètement abandonné aujourd’hui. Cet
                    En effet, on enlève ainsi à l’agriculture l’em­  abandon commença, d’ailleurs, dès l’année
                    placement de vastes prairies, et l’on perd   1785, époque à laquelle Berthollet opéra
                    cet élément si précieux en industrie, comme   la grande transformation industrielle dont
                    en toutes choses, qui s’appelle le temps.  nous allons parler, c’est-à-dire introduisit
                      L’action décolorante de la lumière, de l’air   le chlore dans l’industrie du blanchiment.
                    et de l’humidité, pour opérer le blanchi­    Le chlore est un corps simple gazeux.
                    ment des toiles et des tissus, n’a été expli­  Découvert par Scheele, en 1774, il fut
                    quée d’une manière à peu près satisfaisante   d’abord appelé acide muriatique déphlogisti-
                    que dans ces derniers temps. C’est le corps   qué ou déshydrogéné.
                    désigné sous le nom A'ozone qui explique     Voici comment Scheele raconte la décou­
                    ce mode de blanchiment.                   verte du chlore.
                      Les matières colorantes doivent leur cou­
                    leur à des matières hydrogénées qui entrent   «Je versai une once d’acide muriatique sur une
                                                              demi-once de magnésie noire en poudre (peroxyde
                    dans leur composition. Or, l’oxygène de l’air,
                                                              de manganèse). Au bout d'une heure, je vis ce mé­
                    sous l’influence de la lumière et de l’eau, se   lange à froid se colorer en jaune; par l’application
                    combine à l’hydrogène de la substance colo­  de la chaleur, il se développa une forte odeur d’eau
                    rante, pour former de l’eau, et la couleur   régale. Pour mieux me rendre compte de ce phéno­
                                                              mène, je me servis du procédé suivant: j’attachai
                    est détruite, ou plutôt transformée en une   une vessie vide à l’extrémité du col de la cornue
                    autre substance incolore, soluble dans les   contenant le mélange de magnésie noire et d’acide
                    lessives alcalines. Mais la combinaison de   muriatique. Pendant que ce mélange faisait effer­
                                                              vescence, la vessie se gonflait; l’effervescence ayant
                    l’oxygène de l’air ainsi opérée directement,
                                                              cessé, j’ôtai la vessie. Celle-ci était teinte en jaune
                    avec le concours du temps, de la lumière et   par le corps aMforme qu'elle contenait, exactement
                    de l’air, n’est pas due à l’oxygène ordinaire ;   comme par l’eau régale. Ce corps n’est point de
                    elle est provoquée par l’oxygène modifié.   l’air fixe (gaz acide carbonique) ; son odeur excessi­
                                                              vement forte et pénétrante, affecte singulièrement
                    L’oxygène, dans son état ordinaire, tel qu’il   les narines et les poumons. En vérité, on le pren­
                    se trouve dans l’atmosphère, ne se com­   drait pour la vapeur qui se dégage de Veau régale
                    bine pas facilement et directement avec   chauffée. Quiconque voudra connaître la nature de
                                                              ce corps, devra l’étudier à l’état de fluide élas­
                    l’hydrogène ou les matières hydrogénées;
                                                              tique. »
                    mais quand il est passé à cet état inconnu
                    appelé par les chimistes ozone, il est sus­  Pour comprendre pourquoi Scheele donna
                    ceptible de se combiner directement avec   au gaz qu’il avait découvert le nom A'acide
                    l’hydrogène, comme avec le plus grand     muriatique déphlogistiqué, ou déshyrod-
                    nombre des autres corps. C’est précisément   géné, il faut savoir que l’on désignait au
                    cet état actif de l’oxygène, cet ozone, qui agit   siècle dernier, sous le nom d’acide muria­
                    dans le blanchiment sur le pré. L’oxygène de   tique, notre acide chlorhydrique, composé
                    l’air se transforme en ozone, sous l’influence   des deux gaz, le chlore et l’hydrogène. Cet
                    des rayons solaires ou de l’électricité, et, dès   acide chlorhydrique, privé de son hydrogène,
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