Page 63 - La Lecture Expressive
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                      Lecture          28.  Le  vieux  menuisier                 \

                      1.  J'ai un parrain à  moi qui habite un village, de  l'autre côté de  1
                    la  rivière.  Il  est  menuisier  de  son  état,  et,  èe  temps  à  autre,  on
                    m'emmène passer une semaine dans sa maison ...

                      2.  Il  me  raconte  une  histoire  de  son  jeune  temps.  A  la  pâture,
                    il  a  tué un loup qui attaquait ses  poulains :
                      « Alors le  loup se  jeta sur moi,  la guPule ouverte. l\lais  j'enfonçai
                    mon  poing  dans  son  ventre.  J'ai attrapé  sa  gueue. Crac!  je  l'ai
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                    retourné,  comme  une  vieille  moufle  .  »
                      Il  fait  le  geste  pour  bien  m'expliquer ...  On  ne  sait  jamais  s'il
                    parle  sérieusement.  C'est  pourquoi  je  l'aime,  mon  vieux  parrain.
                      3.  Quelles  bonnes  heures  passées  dans  sa  compagnie,  au  temps
                    des  vacances !
                      De  grands  rayons  de  soleil  traversent  la  grange  et  dorent  les
                    copeaux de  hêtre  qui  sortent  de  sa  varlope,  <"Il  ruban,;;  hlonds ...  Il
                    cligne des yeux pour examiner la finesse d'uu JuinL,  la solidité d'une
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                    mortaise  •
                      Au  mur  sont  accrochés  des  outils  dont  les  formes  bizarres  font
                                                                  3
                    travailler mon esprit : équerres contournées, tarières  gigantesques,
                    compas ...
                     Et la vache Rosette, attachée à sa crèche, lève son mufle où  filent
                   des baves, tandis que ses yeux jettent dans la nuit des feux verts ...
                     4.  Tout en parlant, parrain travaille.  Le bois s'amincit, s'allonge
                   sous ses doigts, devient un manche de faux ou un battoir de laveuse.
                   Et ce spectacle me ravit 4,  car je sais combien il est diflicile d'enfon-
                   cer une  seule  pointe.
                                      'Émile  MosELLY  (Le  Rouet  d'Ivoire,  Pion,  éditeur).

                     Les mots  : 1. Moufle: mitaine ou gros gant où Il n'y a de séparation que pour
                   le  pouce.  2. !Ùortaise:  entaille pratiquée dans l'épaisseur du  bois  et  qui  reçoit
                   le  tenon.  3.  Tarière:  grande vrille servant à  faire  des trous dans le  bois.  4, Me
                   ravit:  me transporte de joie (proprement, enlever de  force  : on dit ravir le bien
                   d'autrui; rapprocher ravisseur,  rapt,  rapine,  rapace).
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