Page 29 - Bouvet Jacques
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quelques pieux fidèles, il y avait humainement
parlant, plus de chances qu'ailleurs de pouvoir
se dérober à une surprise.
Du reste, outre les avantages prémentionnés,
M. Bouvet était doué d'un sang-froid, d'une pré-
sence d'esprit rares·; rien ne le surprenait; il im-
provisait ses rôles avec un aplomb imperturbable,
et quiconque ne l'avait pas vu cent fois, sous sa
casaque de droguet (1) ou sous les déguisements
vulgaires qu'il empruntait, ne se serait jamais
douté qu'il eût un prêtre en face de lui.
S'il était accompagné de quelque fidèle et qu'il
vint à rencontrer quelque personne inconnue ou
suspecte, il .changeait adroitement de conversa-
tion ; il parlait patois à haute voix ; tantôt il
exaltait le bon vin qu'on buvait dans tel cabaret,
tantôt il demandait à son compagnon s'il avait
vendu sa vache à la dernière foire. S'il se trouvait
avec des femmes en présence d'étrangers suspects,
il les querellait, comme s'il était leur mari, ou
lâchait quelque plaisanterie, comme s'il était un
valet de ferme. S'il portait le saint Viatique au
malade, il prenait un air préoccupé, qui le dis-
pensait de saluer sur son passage. C'est à ce silence
que les fidèles reconnaissaient le ministère qu'il
remplissait.
Se rendant un jour auprès d'un moribond, il
trouva la maison gardée par huit soldats; il con-
(1) Genre de tissu, moitié laine, moitié fil de chanvre,
propre à cc pays .
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