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LAGNEAU NOIR DE MON CŒUR                                        139


          Mais la grand-mère secoua tristement la tête :    — On le trouvera, ne t’en fais pas. On le
         —  Ne t’emballe pas, Jacot. Je n’ai rien promis.  trouvera, cria Annie. Rien ne nous en empê­
          Un silence complet se fit dans la pièce et l’on   cher^ !
       n’entendit plus que le tic-tac de l’horloge.         — Tiens ! La voilà qui part tout droit.
         —  Avec quoi paierons-nous cette expédition ?      Leurs yeux étaient rivés sur le brillant insecte
       Avec des boutons de culotte ?                      qui filait vers le rucher, avec sa charge dorée.
          — Je peux trouver du travail, dit fièrement     Sans se soucier des ronces et des épines d’églan­
       Jacot. Je suis l’homme de la famille.              tiers, ils se lancèrent à sa poursuite.
                                                            — En voilà encore une ! Tiens, une autre !
                     L’arbre à miel                       cria Annie.
                                                            Ayant escaladé une pente rocailleuse, ils
          Dans les jours qui suivirent, Jacot s’efforça de   aboutirent sur un terre-plein de rochers qui domi­
       trouver de l’argent pour aller à la foire. Il arpenta   nait des hectares de bois et de prés. Pendant quel­
       les routes du voisinage en quête de travail. Un    ques instants, ils en oublièrent les abeilles, fasci­
       homme juché dans un cerisier refusa de             nés par les merveilles étalées devant eux.
       l’employer, sous prétexte que les gamins mangent     Puis, tout à coup, le charme fut rompu.
       toujours plus de cerises qu’ils n’en ramassent. Le   — Annie, les abeilles !
       receveur des Postes lui dit qu’il n’y avait pas de   Abritant leurs yeux de la main, ils inspectèrent
       télégrammes à porter.                              les alentours jusqu’à ce que Jacot eût aperçu une
          Jacot alla trouver M. Grosbois qui tenait l’épi­  abeille qui butinait une ancolie sauvage. Délogée
       cerie.                                             doucement de la fleur, elle plongea par-dessus les
          — Non, mon gars, je n’ai besoin de personne     rochers vers des champs de maïs retournés et
       en ce moment pour porter les commandes, dit        pleins de chardons. Les enfants finirent par se
        M. Grosbois en se replongeant aussitôt dans sa    trouver au bord d’un vaste marais d’aspect sinistre
        partie de dames avec le Père Micaud. Puis il      où s’enfonçait un flot continu d’abeilles sem­
        releva soudain le nez :                           blables à des billes d’argent.
          — Tu veux t’enrichir vite ? Trouve donc un        — J’ai peur, avoua Annie.
        arbre à miel. Je t’en donnerai cent francs le kilo.  — On ne peut pas revenir en arrière mainte­
          Le regard de Jacot brilla.                      nant, dit Jacot. Suis-moi en mettant tes pas dans
          — Et comment est-ce que je vais trouver un      mes' pas. Les marécages c’est dangereux.
        arbre à miel ?                                      A un moment donné, entourés de toutes parts
          M. Grosbois était tout à sa partie.             d’un marécage plus sombre et plus menaçant que
          — Heu, dit-il... Eh bien ! tu n’as qu’à trouver   jamais, ils perdirent de nouveau la trace des
       une abeille et la suivre.                          abeilles. Las et découragés, ils s’assirent sur un
          — Ça a l’air plutôt facile, dit Jacot. Merci    tronc moussu pour se reposer. Ils étaient loin de
       beaucoup, monsieur Grosbois.                       chez eux, au beau milieu d’un enchevêtrement
           Il sortit de la boutique en courant.           d’arbres rongés par le temps, avec des lieues de
          — C’est comme ça que tu vas lui faire perdre    taillis et de buissons épineux à retraverser.
        son temps à ce petit ? dit le Père Micaud.          Au-dessus d’eux, sur une haute branche, ils
          — Bah ! à son âge, le temps ne compte pas.      aperçurent un petit oiseau gris.
          Jacot s’en était allé rejoindre sa cousine Annie.   — Tu vois cet oiseau ? dit tout à coup Jacot.
        Il la trouva à leur rendez-vous habituel, entre les   — J’en ai déjà vu des quantités..., c’est un
        deux vieux sycomores. II savoura son secret en    martinet aux abeilles.
        silence pendant un moment, puis il arracha un       — Oui, et il vient d’en attraper une. Et une
        brin d’herbe et commença de taquiner une          autre... et une autre... Oh ! Annie..., c’est l’arbre
        abeille.                                          à miel.
          — Pourquoi fais-tu ça ? demanda Annie.            Jacot se leva d’un bond, fou de joie, désignant
          — Abeilles, miel, arbre à miel, argent, chan­   du doigt un vieil arbre énorme.
        tonna Jacot.                                        — Tu vois où vont les abeilles ?
          — Oh ! quelle bonne idée ! s’écria Annie.         Tout en haut du tronc desséché, on distinguait
          — Oui, mais seulement on ne l’a pas encore      un petit trou où s’engouffraient des théories
        trouvé, l’arbre à miel, dit Jacot.                d’abeilles chargées de pollen.
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