Page 138 - Album_des_jeunes_1960
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136                           l’agneau noir de mon' cœur

                 — Jézabel ne voudra pas de lui, déclara            — Je ne veux pas de ce petit démon ici. Il
              Grand-maman.                                       va tout brouter et ravager les clôtures, marmottait-
                 — Je vais encore essayer de le lui présenter,   elle.
               dit Jacot.                                           — Regarde, Grand-maman, il suce mon doigt.
                 Il prit l’agnelet dans ses bras et le porta à sa   — Tiens, plonge-le-moi dans l’eau chaude.
              mère. Elle donna un bon coup de tête au jeune         — Oh ! merci, Grand-maman... Tu vois, il
              garçon puis, se retournant, envoya promener         aime ça... Je lui donnerai du trèfle. Il va devenir
              l’agneau au beau milieu de l’étable.                gros, gras et fort.
                 — Grand-maman, il mourra s’il n’a rien à-          — Et brutal et méchant, ajouta la grand-mère.
               manger et personne pour le soigner. Est-ce qu’on   Frotte-le avec ce sac. Son biberon est prêt.
               ne pourrait pas...                                   Elle s’assura que le lait n’était pas trop chaud
                 — Non, pas question ! On a une ferme à faire     et présenta la tétine à l’avide nourrisson. Le bébé
               marcher, tous les deux, Jacot. Il n’y a pas de     aux petits sabots fourchus téta avec délice, sa
               place au Creux du Chat pour un agneau appri­       queue tournoyait comme une aile de moulin.
               voisé.                                               — Où vas-tu le garder ?
                 Jacot le savait bien : quand sa grand-mère avait   — Ici, dans la cuisine. Oh ! Grand-maman,
               dit non, elle pouvait être aussi inflexible que le   est-ce que je peux le garder, s’il te plaît ?
               roc. Pendant qu’elle garnissait de paille fraîche    — Heu !... oui. Enfin, au moins jusqu’à ce
              les autres stalles, il murmura tout bas :           qu’il soit bon à rôtir.
                 — Tu es un amour de petit agneau noir et j’ai      — Oh, tu es la meilleure des grand-mères !
               un nom tout trouvé pour toi. Tu t’appelleras       fit Jacot en l’embrassant. Maintenant donne-moi
               Danny. Ça te plaît ce nom-là ?                     ma correction si tu veux. Je suis si content que
                 Grand-maman ne vit pas l’enfant sortir de        c’est à peine si je la sentirai.
              l’étable sur la pointe des pieds.                     — Malheur de moi, marmonna-t-elle, en bri­
                 — Jacot ? appela-t-elle.                         sant la badine et en la jetant dans la cheminée,
                 — Pas de réponse.                                je deviens trop faible.
                 — Jacot, apporte-moi la lanterne. Tu m’en­
               tends ?                                                      Danny a des ennuis
                 Pas de réponse. L’enfant et l’agneau avaient
               disparu dans la nuit.                                En moins d’une semaine, l’agneau avait appris
                 Près du puits, Grand-maman s’arrêta pour         à enjamber son panier et à galoper à travers la
               arracher une branche au saule et la dépouiller de   maison, laissant tout sens dessus dessous derrière
              ses feuilles. Puis elle entra dans la cuisine. Sur la   lui. Il renversait les seaux à lait et gambadait
               grande pierre de l’être, l’enfant avait préparé un   dans les plates-bandes de fleurs. Un lundi matin,
               lit pour son agneau dans un panier garni de sacs   il sauta dans un panier à linge, éparpillant toute
               de toile et de torchons.                           une lessive fraîchement lavée.
                 — Jacot, dit-elle, tu m’as désobéi, et mon         — Démon noir ! Bandit ! criait Grand-maman
               devoir est de te punir. Penche-toi.                en le pourchassant à travers le jardin, si jamais
                 — Je suis prêt à recevoir une correction,        tu recommences à gâcher ma lessive, je te fais
              Grand-maman, mais, s’il te plaît, est-ce que je     rôtir !
               peux réchauffer d’abord ma petite bête et lui        Quelques jours plus tard, Danny et Jacot
               donner à manger ?                                  eurent des ennuis encore plus graves. Danny avait
                 — Bon, bon. Autant que je te donne un coup       été chassé d’abord de la maison, puis de la cour
               de main.                                           (où il avait culbuté un pot de peinture rouge
                 Elle posa sa badine à portée de la main sur      dont Grand-maman se servait pour teindre la
               la table.                                          laine des couvertures quelle tissait). Et elle avait
                 La vieille bouilloire de cuivre chantonnait dans   déclaré qu’à la prochaine incartade, elle le ven­
               l’être. La grand-mère versa l’eau chaude dans une   drait au boucher.
               bassine et ajouta de l’eau froide prise dans un      Il semblait n’y avoir qu’un seul moyen d’empê­
               seau pour obtenir une bonne température. Puis      cher Danny de faire des bêtises : l’enfermer dans
               elle fourragea dans le buffet à la recherche d’un   un parc bien solide. Mais comment se procurer
               biberon.                                           un parc ? Jacot n’avait pas assez d’argent pour
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