Page 29 - aux armes_4
P. 29

On le vit bien lorsque les dangers se   soldats. Et cette troupe supporte toutes   force. Après 18 ans de dictature, il ne
               précisèrent : le gouvernement fait appel   les privations (20.000 hommes de l’armée   représentait plus grand’chose, les esprits
               à la Garde Nationale, mais celle-ci avait   du Rhin sont sans souliers), la disci­  n'y étaient pas préparés, ne voyaient
               un recrutement limité (car il fallait,   pline (et pourtant les chefs sont élus).   rien de précis dans l’idée républicaine.
               pour entrer dans cette garde, s’équiper   Leur idéal est une telle force que le   Seule la population de Paris y avait
               à ses frais). En fait, beaucoup de pau­  gouvernement, par l’amalgame essaie   été sensible. Son sentiment de patrio­
               vres s’enrôlèrent, revendiquant le droit   d’inspirer les restes de l’armée' régulière.   tisme exaspéré se traduit par le soulè­
               d’être soldats alors qu’ils n’étaient pas   Et partout il y a un tel élan, un tel   vement de la Commune (dont le nom
               encore des citoyens complets, et luttant   esprit d’offensive et d’audace, que Car­  évoquait 93), mais la province ne com­
               pour une révolution qui pour eux était   not peut renouveler tout l’art de la   prit pas. Bismark comprit davantage
               encore à faire. Et quand la Patrie fut   guerre, et battre tous les ennemis.  puisqu’il libéra avant la paix 100.000 sol­
               déclarée en danger, tous les Français   Plus tard, cet idéal va s’obscurcir et   dats pour dompter Paris. Libération
               devinrent à la fols électeurs et soldats,   même disparaître en apparence ; cela est   manquée, révolution parisienne man­
               tant les sorts des réformes intérieures   dû à l’attrait des conquêtes, au prestige   quée.L’élan social de la France était
               et de la liberté nationale sont liés.  d’un général habile. De son côté, la na­  brisé pour de longues années.
                C’est cette armée de volontaires qui va   tion se désintéresse d’une armée qui ne
               rencontrer l’armée mercenaire prus­  fait plus corps avec elle, et les combats   IV. — L’élan* victorieux de la Russie So­
               sienne à Valmy. Deux mondes se heur­  n’ont plus de répercussion sur une révo­  viétique.
               taient et ce fut la première victoire de   lution stoppée par Napoléon. Pourtant,   La Russie, après 1917, cumule les dif­
               la première armée nationale. Le 14 juil­  tet idéal n’est pas mort. Au moment des   ficultés de la France de 92 et de 70...
               let avait sauvé la Révolution au dedans,   revers, quand la guerre revient en   Quatre ans d’une guerre très meurtrière
               Valmy, en libérant le territoire, sauve à   France, Napoléon est tout surpris de re­  ont décimé l’armée, anéanti son esprit
               nouveau la Révolution, et dès le lende­  trouver vivant l’esprit 89-93. Mais il   combatif et achevé la ruine économique
               main, dans une France rassurée, la Ré­  repousse cette offre du pays, qui se désin­  du pays. Malgré la signature de la paix
               publique est proclamée.              téresse dés lors du sort de l’empire et de   avec l’Allemagne, les troupes allemandes
                En 1793, la situation est redevenue très   la guerre. La défaite est inévitable.  ont continué leur avance de la Pologne
               grave, plus grave même qu’en 1792,    Mais cette première guerre nationale   jusqu’à la Crimée. Les populations de
               Sept armées ennemies envahissent la   avait montré l’énorme force morale qui   l’Ouest se soulèvent, depuis la Finlande



      BERATION









               France. Pendant ce temps, à l’intérieur,   naît de l’union de la nation et de l’ar­
               c’est la vie chère, la disette, et de nom­  mée dans un idéal commun.
               breuses régions se soulèvent, au point
               que, pendant le « tragique été 93 », 2/5'   III. — L’élan' manqué de 1870.
               seulement des départements obéissent   En 1870, les Français tentent le même
               encore au gouvernement. C’est alors la   sursaut de patriotisme et essaient de
               levée en masse, la nation entière combat   sauver leur pays au nom de la Répu­
               ou travaille pour la guerre, et, trois mois   blique.
               plus tard, toutes les insurrections sont   A l’automne de 1870, la situation pa­
               écrasées, toutes les armées ennemies   raissait désespérée. Un mois de combat
               sont chassées et l’offensive victorieuse   avait suffi pour faire disparaître l’ar­
               s’apprête à franchir les frontières.  mée iïhpériale, anéantie, prisonnière ou
                 Quelle est donc cette armée capable de   encerclée. Paris est bientôt investi.
               tels exploits ? Elle est formée d’hommes   C’est alors que le nouveau gouverne­
               ordinaires, venus de toutes les classes   ment proclame la guerre de libération.
               avec leurs qualités et leurs défauts. Ils   Un immense effort groupe des centaines
               ne sont pas toujours des héros ; des dé­  de milliers d’hommes qu’il faut, non seu­
               bandades et des paniques se produisent   lement équiper et armer, mais instruire,
               souvent ; ils ne sont pas de petits saints ;   entraîner. Une seule chose peut donner
               ils savent s’enivrer et piller, comme en   une âme à cette armée, c’est l’idéal ré­
               Belgique Furnes. Mais ils ont tous un   publicain. Gambetta s’y emploie, et mê­
               idéal puissant. Ils savent pourquoi ils se   me des chefs non républicains, comme
               battent, et ils ne s’intéressent pas seu­  Chanzy, se rendent pompte que le salul
               lement à la vie de leur secteur, ils vi­  ne peut venir que de là, et prennent
               brent à tous les progrès de la Révolution,   loyalement parti. Par contre, Trochu,
               dont ils voient constamment auprès   par méfiance pour son armée populaire,
               d’eux les délégués. Et après chaque dé­  ne tente rien de sérieux pour débloquer
               faillance, le gouvernement ne se décou­  Paris, assiégé cependant par des troupes
               rage pas, car il sait qu’en s’adressant à   trois fois moins nombreuses, et la capi­
               l’idéal des troupes, il obtient tout ; les   tulation de Bazaine à Metz, libérant les
               les mêmes troupes qui s'étaient battues   meilleurs soldats allemands, éntraîne la
               et déshonorées à Furnes, se cotisent pour   défaite française. En outre, le rôle du
               rembourser leur pillage et prennent d’as­  matériel est beaucoup plus grand qu’en
               saut le camp retranché de Maubeuge,   1792, et l’Allemagne est devenue une
               dont le défenseur avait dit: « s’ils pren­  grande puissance industrielle.
               nent Maubeuge, je me fais républicain ».   Mais la défaite a aussi des causes mo­
               « Il le sera donc », avaient répondu les  rales. L’idéal républicain manquait de
   24   25   26   27   28   29   30   31   32   33   34