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I. — Originalité de l’élan de libération Libérer le territoire de son pays, en figurent que la France est affaiblie et
de 1944. vahi par des ennemis détestés, mais en sont décidés à en profiter à la fois pour
même temps sentir que cette libération rétablir l’ancien régime et pour annexer
Peu de guerres ressemblent à éelles que naticffiale n’est que le prélude d’une libé
les Français ont menée en 1944. Et 11 ne des provinces.
ration plus vaste encore, qui dépasse le
s’agit pas seulement des conditions ma Les Français, au contraire, sont con
point de vue militaire, et permettra de
térielles. fiants dans leurs forces et pensent que
continuer ou de reprendre la marche les peuples opprimés attendent d’eux le
Cela n’a pas été la guerre d'une armée vers le progrès social et humain, c’est signal de la libération. Aussi, ce sont
de métier, que le pays regarde en spec un état d’esprit que nous trouvons deux
tateur payant la défaite ou même la vic les Français eux-mêmes qui déclarent la
fois en France en 1793 et en 1870, et une guerre.
toire, ni même la guerre d’une armée fois en Russie après 1917.
nationale utilisant les cadres de l’armée Mais ils sont loin de pouvoir la faire.
permanente (comme les réservistes de II. — L’élan national français : 1792-93. Leur armée régulière est complètement
1914-18). Il y a peu d’exemples si nets désorganisée par l’émigration (le nom
En 1792, la France est occupée depuis
d’une guerre sortie des profondeurs de trois ans à sa révolution. A cette date, breux officiers et par la tiédeur de ceux
la nation et menée par la volonté natio qui sont restés et dont beaucoup trahi
cette révolution est loin d’être terminée.
nale. Ces volontaires de 1944, no» seu L’idéal de liberté et d’égalité n’est pas ront à mesure que la révolution progres
lement nulle force humaine ne les pous encore réalisé, mais la France s’est déjà sera. Il y a bien une garde nationale,
sait à agir, mais tout les retenait : la tellement transformée, elle a déjà pri$ mais jusqu’ici elle n’a servi qu’à la pro
prudence, la police ou les ordres du tellement d’avance sur le reste du mon tection intérieure de la Révolution. Celle-
« gouvernement ». Pour affronter une sé de, qu’elle peut écrire à bon droit sur ci va-t-elle s’effondrer ?
rie exceptionnelle de risques, il a fallu ses poteaux frontière : « ici commence En réalité, les adversaires si sûrs d’eux-
un élan extraordinaire. C’est cela qui le pays de la liberté ». mêmes n’ont pas compris l’esprit nou
fait la rareté de la guerre de 1944. veau né en France. Pour la première
Son idéal de fraternité ne s’arrête pas
Dans le passé, cet élan moral a par aux frontières, et c’est en toute sincé fois, c’est une guerre qui intéresse per
sonnellement chaque Français: désor
fois été inspiré par la foi religieuse : rité qu’en 1790 son assemblée « a déclaré
les premières croisades voulaient mettre la paix au monde ». mais, le pays est à eux, y toucher, c’est
toucher à leur bien propre, et non plus
fin au sacrilège du tombeau du Christ Cependant, et d’une façon indissolu
possédé par des Infidèles. D’autres fois, au domaine du roi ; et la défaite les obli
ble, sa paix intérieure et sa paix exté
c’est un désir de conquête et de domina rieure sont menacées: au dedans, les gerait à renoncer à toutes les conquêtes
tion né d’une croyance dans la supério qui.ont fait d’eux des hommes libres, à
ennemis de la Révolution soutenus par
rité de la religion (cdnquête arabe) ou l’extérieur, aident le roi à freiner les ré redevenir des « esclaves ».
de la « race élue » (armée allemande de • C’est l’esprit qui anima la Marseillaise :
formes ; au dehors, les partisans des an-
1939). Mais l’élan de 1944 n’a qu’un très tiens privilèges trouvent un appui finan « C’est nous qu’on ose méditer
petit nombre de précédents : « De rendre à l’antique esclavage !...»
cier et militaire auprès des souverains.
Ceux-ci sont prêts à intervènir ; ils -crai et peu après le Chant du Départ :
(1) Conférence faite à l’Eco’e de Cadres d’Uriage
par M. Rolland. gnent la contagion révolutionnaire, se « Le peuple souverain s’avance ».
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