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tions, sans des modifications de « struc­
               POUROUDIeiCOMMENT?                                                        non tenues. Il est grand temps d’en ve­
                                                                                         ture », mot riche de promesses jusqu’ici
                                                                                         nir au concret et de traduire sur le plan
                                                                                         des réalités le vent révolutionnaire qui
                                                                                         souffle sur la France. Agir autrement
                                                                                         serait causer une fois de plus une dé­
               Quand vous parlez de moi, ne dites pas O U, dites L T.                    ception qui n’ouvrirait aux esprits en
                                                                                         expectative que le chemin de l’insurrec­
                                                                        LYAUTEY.         tion, selon un mécanisme qui leur est
                                                                                         désormais familier. Le dilemme des jours
                                                                                         à venir : révolution dans l’ordre ou
               La conjonction LT, le plus français des  mots du diction-                 guerre civile, est une réalité si grave et
                                                                                         si prenante qu’il faut mettre les ca­
               naire, parce qu il exprime l union.                                       dres entre les mains de qui passent
                                                                                         tous les Français, en face de leurs res­
                                                                        ARAGON.          ponsabilités. L’armée ne peut rester
                                                                                         étrangère, sous peine de se vider de sa
                                                                                         substance, au mouvement des idées, aussi
                 ’EXPERIENCE militaire de 1940 a ré­  Faire entrevoir celle-ci, montrer à ceux   bien qu’au bouleversement social auquel
               L   vélé au grand jour une vérité évi­  qui combattent quel sort leur est destiné   elles tendent et qui se traduira par l’ac­
                                                    dans une France rajeunie et riche d’un
                   dente et, volontairement ou non, ou­
                                                                                         cession du monde du travail aux leviers
                 bliée : l’instruction technique ne vaut que  nouvel essor, les intéresser à la cause   de commande de la cité.
               par la flamme qui l’alimente et il im­  qu’ils servent pour qu’ils la servent d’un
                                                                                          Enfin, entre ce domaine et celui de la
               porte peu qu’un homme soit maître de   cœur plus alerte, tout cela n’est-il pas
                                                                                         technique, c’est encore l’homme, celui-là
               ses armes s’il n’est pas d’abord maître   la transposition logique, sur un plan plus
                                                                                         même qu’il s’agit de sauver et d’affran­
               de lui et conscient de ses responsabilités.  large et plus humainement accessible à
                                                                                         chir, qui constitue la transition la plus
                Les années qui ont suivi n’ont fait que   tous, des proclamations que lancent à
                                                                                         naturelle. S’il est, dans son existence et
               confirmer cette position : un peuple ac­  leurs soldats les grands capitaines. Si
                                                                                         ses aspirations, l’objet de la guerre pré­
               culé, sous peine de mourir, à sentir et   Napoléon savait la force des évocations
                                                                                         sente, il en est aussi, comme toujours,
               à comprendre les bienfaits de la guerre,   historiques et des retours en arrière :
                                                                                         l’acteur principal et rien de valable ne
               la nécessité de la lutte, le sens de son   « Du haut de ces pyramides, quarante
                                                                                         peut se faire sans lui. Toute conception
               recours aux armes, en vient à compenser   siècles vous contemplent », il ne méses­
                                                                                         militaire qui ne lui assigne qu’une place
               son infériorité technique par l’esprit de   timait pas les appâts plus précis : « Vous
                                                                                         secondaire dans ses préoccupations est
               sacrifice qui l'anime et le soulève. Que   êtes nus, mal nourris : devant vous s’ou­
                                                                                         vouée à la faillite. Il est nécessaire de
               dire alors d’une nation gui joindrait   vrent les riches plaines du Pô... ». Avant
                                                                                         l’intéresser à la guerre qu’il fait. Il l’est
               l’équipement approprié au sentiment pro­  lui, à la veille de Contras, Henri IV s’é­  non moins de se pencher sur lui et, en
               fond et unanime d’une cause juste à ser­  criait : « Courage ! il n’y aura si petit
                                                                                         l’envisageant cette fois-ci dans son rôle
               vir, sinon qu’il serait invincible. On en   d’entre vous qui ne soit désormais monté
                                                                                         d’exécutant, de tenir compte de la ma­
               est ainsi conduit à ne pas dissocier les   sur de grands chevaux et servi en vais­
                                                                                         chine pensante et souffrante qu’il ne cesse
               raisons de combattre des moyens de vain­  selle d’argent ». Combien plus exaltantes
                                                                                         jamais d’être. Trop souvent, peut-être,
               cre.                                 doivent être les perspectives offertes au­
                                                                                         oubliant soi-même qu’on est l’un d’eux
                Cette constatation faite, il s’agit d’en   jourd’hui au soldat français. Il ne s’agit
                                                                                         et qu’on n’est que cela, a-t-on tendance
               tirer les conséquences dans le domaine   plus de pillages, en somme assez vul­
                                                                                         à raisonner dans l’abstrait, à mouvoir
               de la formation des cadres et, ensuite,   gaires, mais d’un monde à rebâtir où
                                                                                         des pions sur un plan en relief et non
               de l’instruction de la troupe.       le bonheur soit plus équitablement dis­
                                                                                         des êtres de chair et .de sang dans un
                La première est la nécessité pour une   pensé.
                                                                                         paysage mouvant et sous un ciel incer­
               armée digne de ce nom ou, si l’on veut,   Cependant, s’il est nécessaire de savoir   tain. Cette pommunion nécessaire du
               pour la nation armée, de savoir pourquoi
                                                    pourquoi l’on se bat, il ne l’est peut-être   chef et de ses hommes soumis aux mê­
               elle se bat. Il y a là la base d’une vue   pas moins, puisque la guerre détruit   mes dangers et aux mêmes fluctuations
               constructive de l’avenir. Certes le passé
                                                    avant de céder le pas aux constructeurs,   de la bataille, la vie du maquis l’a ren­
               est fertile en enseignements et le méses­  de savoir contre quoi l’on se bat. Chasser   due sensible jusqu’à la plus aveuglante
               timer serait une faute. Il y aurait en
                                                    l’envahisseur est un objectif, mais qui   évidence. Il ne faut pas maintenant que
               outre dans cet oubli une rupture con­  ne dépasse pas le lot commun des guer­  ce sens de la communion se perde dans
               traire à l’équilibre d’une grande nation
                                                    res. L’enjeu de celle-ci paraît plus vaste.   le retour à un calme relatif et à une
               dont l’histoire est faite de continuité, de   C’est une lutte idéologique où deux pro­  existence moins concentrée. Il faut qu’il
               persévérance, du patient enfantement des   jets d’organisation du monde s’affron­  entre définitivement dans les réflexes,
               siècles. Mais il n’y a là qu’un élément et   tent. Il s’agit de savoir qui l’emportera,   récompense de l’action souterraine et
               celui qu’on laisse, semble-t-il, le moins
                                                    de la primauté de l’homme ou de celle   traquée, point de départ d’une armée
               dans l’ombre. Trop souvent au contraire   de l’Etat, de la liberté de la personne ou   qui soit vraiment celle de tous, celle du
               on perd de vue que la patrie est un édi­
                                                    de sa fusion dans un tout orgueilleux   peuple, gage de victoire, d’une victoire
               fice en perpétuelle construction et que   et anonyme qui l’absorbe, de la concep­  prolongée au-delà de la paix conclue.
               s’il est bon de veiller à la conservation
                                                    tion d’une masse vivante capable d’en­  C’est dans ce cadre qu’on a conçu l’in­
               de ce qui existe, il serait mortel de limi­  gendrer des élites, ou de celle d’une
               ter là l’activité du chantier et de se                                    sertion de la technique militaire, de l’ins­
                                                    foule avjde d’abdiquer. On a pu appeler   truction proprement dite. La plus large
               résigner à l’inachèvement. L’archéologie   la dernière guerre la guerre du droit.
               ne dispense pas de l’architecture. Au                                     place lui revient dans une Ecole qui a
                                                    Celle-ci est vraiment celle de l’homme,   pour but de former des chefs de guerre.
               surplus on négligerait ainsi l’essentiel
                                                    de son destin en péril. Elle vaut de sa   Mais l’idée qu’on s’y forge de T Armée
               qui est la Vie, donc le mouvement et on
                                                    part d’immenses sacrifices. Encore faut-il   est trop haute pour qu’on ne s’attache
               retirerait au concept de patrie son dyna­  qu’il le comprenne, donc qu’on le lui
               misme.                                                                    pas à former, en même temps que des
                                                    dise.
                 Si Ton traduit sur le plan pratique                                     techniciens aussi avertis que possible, des
                                                      Mais cela même n’est pas suffisant. Il   hommes pleinement conscients des res­
               cette exigence, elle aboutit à la nécessité
                                                    serait vain de constater le mal sans y   ponsabilités qu’ils assument. On pense
               pour le combattant de prendre conscience
               du cadre dans lequel se déroule son ac­  porter remède, absurde d’avoir subi le   que, le but étant plus net, plus indiscu­
               tion fragmentaire et des buts vers les­  risque et failli en mourir sans s’assurer   table, meilleur sera le rendement et plus
                                                    contre son retour. On ne voit pas bien   grande l’efficacité.
               quels elle tend. On né fait bien la guerre
               que pour obtenir non seulement la paix,   comment cette préservation est possible
               mais une paix qui recèle des promesses.   sans une réforme profonde des institu­      Commandant de Virieu.
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