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DISCOURS PRONONCE PAR LE





                 COMMANDANT de VIRIEU







                    E n'est pas par hasard                                                         de la Gestapo, avec leurs
                 C que nous sommes réu­                                                            pauvres doigtscrispésdans
                 nis ce matin sur ce terre-                                                        un dernier spasme, ayant
                 plein, autour de ce mât.                                                          reflété dans leurs prunel
                 Cette cérémonie a un sens.                    .■■........Le                       les disparues toute l’an­
                   Elle est d’abord une                                                            goisse humaine.
                 expiation. Trop souvent,                lundi 25 septembre                          C’est à cause d’eux
                 dans le ciel pur d'Uriage,              à l’occasion                              que cette cérémonie
                 des mains impures ont                                                             symbolise une espé­
                 fait monter nos trois cou­              de l’ouverture de                         rance. Tous ces hommes,
                 leurs, transposant ainsi le             l’Ecole Militaire                        venus d'horizons différents
                 sacrilège de celui qui                                                            et de mystiques parfois
                 osait faire jouer la "Mar­              d’ U R I A G E                            irréductibles en appa­
                 seillaise " après avoir sou­                                                      rence, ayant à travers la
                 haité la victoire de l’Alle­                                                     souffrance découvert la
                 magne.                                                                            Patrie, morts enfin pour
                   Mais si le cauchemar                                                            une cause commune dont
                 de cette victoire a été,                                                          ils avaient reconnu qu'elle
                 en définitive écarté, c’est                                                       méritait ce sacrifice, tout
                 aux Français que la France doit,     vent arpenté ce terrain, contem­     cela rend un son nouveau, un
                 pour une part décisive, sa liberté.   plé ce paysage, regardé monter      son plus profond et qui, au lieu
                 Parmi ces Français beaucoup ont      ces couleurs. Pierre Geny, capi­     de se répercuter dans un cercle
                 payé de leur vie la sauvegarde       taine grièvement blessé en 40        étroit, nous fait à tous prêter
                 de notre Patrie. C’est pourquoi      dans son char, tombé dans une        l’oreille. Se pourrait-il que de
                 cette cérémonie est aussi une        embuscade au seuil des Pyrénées;     tels signes annonciateurs fussent
                 commémoration. Il ne s’agit          Roger Fould, capitaine à l'Etat-     vains et qu’une illusion de plus
                 pas, en ce jour, de pleurer ou de    Major F.F.I. de Lyon, fait prison­   nous guettât ? Ce serait trop
                 plaindre nos .morts, mais de les     nier, torturé et silencieux; Ray­    grave.
                 mettre en pleine lumière. Cette      mond Dupouy, enfin, lieutenant,        Non, cette fois-ci, la double
                 solennité unit dans la même          capturé alors qu'il transportait     empreinte de la souffrance et de
                 ferveur ceux de Tunisie et ceux      des renseignements importants,       la nécessité aura été plus dura­
                 du Cotentin, les défenseurs de       torturé lui aussi, et dont le sort   ble. Nous pensons que le
                 Bir-Hakeim et ceux de Glières,       est demeuré incertain jusqu’au       temps de la fusion est venu,
                 les hommes qui sont tombés à         jour où il fut identifié parmi les   que l’esprit de sacrifice qui
                 la conquête de Rome et ceux          martyrs du Polygone de Grenoble.     est la leçon de nos morts en
                 qu’une balle perdue à couchés          Dans un de ses livres, le Géné­    sera le ferment, comme l’Ar­
                 aux portes de Paris en armes.        ral de Gaulle remarque combien       mée Française, issue dans un
                 Nous savons que tous ces morts       est dur le sort des assiégés, et     reflexe de défense, ainsi
                 ont fraternisé dans le sacrifice.    quelle farouche résolution il exige.   qu’aux grands jours de son
                 Rien ne sépare aujourd’hui/          Ils vivent avec leurs morts, sevrés   histoire, de l’authentique
                 dans leur exemple comme              de secours et de nouvelles, ne
                 dans notre cœur, le colonel          devant compter que sur eux-          peuple de France, doit en
                 d’Ornano, qui dort de son            mêmes pour résister et vaincre.      être l’âme. C’est dans ce but
                 dernier sommeil dans la pal­         Tel a été, ces quatre ans, le        que naît cette école ; c'est dans
                 meraie de Mourzouk, du               destin de la France. Elle a vu       cette espérance, dans cette certi­
                 Capitaine de Corvette d’Es-          s’effriter sa substance, elle a      tude que nous suivrons des yeux,
                 tienne d’Orves, de Madame            vécu avec ses morts au sens          un instant, le drapeau.
                 Albrecht oudu député Gabriel         strict. Elle a vu battre et tuer ses   Ainsi, ayant souffert et lutté
                 Péri, assassinés pour l’amour        femmes, crucifier ses enfants,       hier ensemble, servant aujourd'hui
                 de leur Patrie, une prière           mutiler, torturer, assassiner ses    ensemble, d’un même cœur, nous
                 suprême, un ultime défi, une         hommes. Elle a assisté, pâle de      nous sentons qualifiés, Français
                 dernière "Marseillaise” aux          stupeur, à une impardonnable         en armes, dressés des Pyrénées
                 lèvres.                              tentative d’avilissement de la       au Rhin contre l’ennemi, pour
                   Et dans cette maison même,         mort. Elle a retrouvé partout des    reconstruire demain, mêlant les
                 tous proches de nous par la          cadavres, mitraillés sur les routes   vieilles pierres avec les matériaux
                 pensée et le souvenir, il me plait   de Savoie, se balançant auxarbres    neufs, une fois encore ensemble,
                 d’évoquer ces morts qui ont si sou­  du Vercors, exhumés des charniers    la France.

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