Page 72 - Les merveilles de l'industrie T1

GG MERVEILLES DE L’INDUSTRIE.

au moyen d’un énorme rouleau, on réduit adroitement, avec des grappins, les corps
cette masse pâteuse en une lame d’épaisseur étrangers qu’ils aperçoivent surnageant le
régulière (fig. 50). verre coulé. Immédiatement après, le rou­
Nous devons nous arrêter sur cette belle leau passe sur le verre pâteux, et l’étale dans
opération qui mérite d’être décrite assez lon­ l’espace compris entre les tringles de fer.
guement, et surtout d’être vue. Arrivé à l’extrémité de la table, le rou­
Le coulage des glaces nécessite de la part leau est reçu sur un chevalet. On enlève alors
des ouvriers une grande précision dans la les tringlettes et on casse les bavures. Le
manœuvre, une régularité et un ensemble creuset vidé est reporté au four et l’on s’oc­
extrêmes. Chacun d’eux a sa place marquée, cupe de retirer du four un deuxième creuset
son travail spécial, sa part de responsabilité pour une deuxième coulée.
dans la réussite de l’opération. Pendant ce temps, on a ajouté à la table
A un signal donné, chacun se prépare. une rallonge, qui la met en communication
Le creuset est saisi par la fourche de la pince avec le four à recuire, ou carcaise. Des ou­
qu’on introduit dans la rainure; il est enlevé vriers forment, à l’extrémité de la glace, un
du four, posé sur la plaque d’un chariot et em­ bourrelet, appelé ZeZe, contre lequel ils appli­
brassé à la ceinture par une seconde tenaille quent une barre transversale fixée à un long
ronde. Cette tenaille, qui porte un long bras, manche. A un commandement, les ouvriers
est soulevée par les crochets d’une grue mo­ poussent cette sorte de râteau ; ils font glisser
bile sur des rails. Le creuset traverse, comme la glace sur la table et le font entrer dans le
un globe de feu, une partie de la halle jusqu’à four où elle va se recuire, c’est-à-dire se re­
ce qu’il soit arrivé près de la table de cou­ froidir lentement.
lée, composée d’une surface de fonte parfai­ Un intervalle de cinq minutes seulement
tement plane, égale et bien dressée. Là, des sépare les coulées qui se succèdent jusqu’à
ouvriers spéciaux écrément la surface du ce qu’on ait vidé tous les creusets du four.
verre, pour le débarrasser des impuretés ou Rien n’égale la magie de ce spectacle. Rien
scories. La table de fonte présente une sur­ n’est plus saisissant, au milieu de cette vaste et
face plane, de 7 mètres de long sur 5 de large. sombre halle, que la vue de ce creuset rougi
Elle a été chauffée avant de recevoir le verre qui brille comme une étoile de feu, et verse
coulé. Pour déterminer les dimensions du une rivière étincelante, puis de cette nappe
verre en épaisseur, largeur et longueur, et lumineuse de matière fondue, qui s’aplanit
pour opposer une limite à l’écartement de la sous le gigantesque rouleau de fer, en laissant
matière pâteuse répandue sur la table, on y jaillir de ses bords des stalactites, rouges d’a­
dispose des réglettes de fer. C’est sur ces ré­ bord et qui deviennent transparentes et lim­
glettes que doit porter le rouleau de fonte pides en se refroidissant. Ajoutez à cela les
qui est d’un poids très-considérable (300 à ouvriers attentifs, silencieux, recueillis, ac­
450 kilogrammes), et qui est disposé à l’ex­ complissant avec calme, avec intelligence et
trémité de la table opposée au four à recuire. rapidité, les opérations difficiles qui leur sont
La table ayant été bien essuyée, deux ou­ confiées, sous le commandement d’un chef
vriers, sur un signal du maître verrier, font écouté docilement, et vous aurez un des plus
basculer les branches de la tenaille. Le creu­ curieux tableaux que puisse réaliser l’indus­
set s’incline, le verre pâteux coule comme trie moderne, une des merveilles de l'indus­
une rivière de feu sur la table, et la recouvre trie qui suffiraient à justifier le titre de notre
d'une sorte de lave brûlante. Des ouvriers ouvrage.
veillent sur le flot de verre. Ils enlèvent A mesure que la glace est coulée et figée,