Page 36 - Les merveilles de l'industrie T1
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30                   MERVEILLES DE L’INDUSTRIE.

                     altérées par le vin qu’elles renferment. Cette   verre s’etait transformé en une substance
                     altération est due au bitartrate de potasse   blanche, opaque, ayant l’aspect de la porce­
                     contenu dans le vin. On voit se déposer de   laine et qui était assez dure pour faire feu au
                     la silice et du tartrate de chaux ; le vin se   briquet.
                     trouble, se décolore et prend une saveur    Quelle transformation a subie le verre pen­
                     d’encre très-appréciable.                 dant sa dévitrification? A quoi est dû ce phé­
                       M. Péligot pense que ces effets se produi­  nomène ? Telles sont les questions auxquelles
                     sent à la longue dans les meilleures bou­  il nous faut répondre.
                     teilles, et il n’est pas éloigné de croire que   La dévitrification consiste en un simple
                     les modifications que subissent les vins long­  changement d’état physique du verre, en une
                     temps conservés en bouteille, peuvent être,   véritable cristallisation intérieure.
                     dans beaucoup de cas, attribuées à la bou­  M. Dumas, qui fit, en 1830, des analyses
                     teille elle-même.                         comparatives de verre transparent et de verre
                                                               dévitrifié, considéra ce dernier comme plus
                       « La décoloration plus ou moins rapide du vin,
                                                               riche en silice et moins chargé d’alcali. Il
                     dit M. Péligot, serait due à la production d’une sorte
                     de laque fournie par la silice gélatineuse et la ma­  pensait que la dévitrification était due à la
                     tière colorante du vin ; la faculté qu’ont certains   formation et à la cristallisation de silicates
                     vins blancs de noircir quand ils séjournent, même
                                                               définis, infusibles à la température que pré­
                     pendant peu d’instants, dans le verre à boire, pour­
                     rait être attribuée à une cause analogue ; en effet,   sentait le mélange au moment de la dévitrifi­
                     les vins blancs contiennent du tannin, et, sous l’in­  cation. Le verre, en effet, prend, en se dévi­
                     fluence d’une petite quantité de fer qu’ils emprun­
                                                               trifiant, un aspect cristallin et fibreux. Mais
                     teraient à la bouteille, ils se coloreraient à l’air par
                     suite de la production d’une trace de tannate de   Berzelius prouva plus tard qu’en se dévitri­
                     peroxyde de fer, qui est, comme on sait, le principe   fiant le verre ne subit aucune altération
                     colorant de l’encre à écrire. Ceci n’est d’ailleurs   chimique, ni dans la proportion, ni dans la
                     qu’une présomption qui aurait besoin d’être ap­
                                                               nature des éléments dont il est composé.
                     puyée par des expériences directes (I). »
                                                               La modification qu’il éprouve est toute phy­
                       L’action de la chaleur sur les verres mérite   sique. M. Pelouze a confirmé cette théorie.
                     d’être examinée avec soin.                  La manière la plus facile et la plus simple,
                       Lorsqu’après avoir fondu du verre, on le   suivant M. Pelouze, de préparer le verre dévi­
                     maintient longtemps à une température éle­  trifié, consiste à maintenir par la chaleur une
                     vée, il perd peu à peu sa transparence, et se   feuille de verre à vitres à l’état de ramollisse­
                     change en une matière opaque, que l’on dé­  ment prolongé. Au bout de 24 à 48 heures,
                     signe sous le nom de verre dévitrifié, ou   la dévitrification est accomplie: la feuille de
                     porcelaine de Réaumur. Les restes de verre   vitre ressemble alors à de la porcelaine, dont
                     que l’on abandonne dans les creusets des   elle diffère pourtant beaucoup par la texture.
                     usines, offrent ce même état, parce que le   Quand on la brise et qu’on examine sa cas­
                     verre a été longtemps tenu à l’état de fu­  sure, on la voit formée d’aiguilles opaques, té­
                     sion dans ces creusets.                   nues, serrées, parallèles les unes aux autres et
                       Ce fut Réaumur qui étudia le premier,   perpendiculaires à la surface du verre. Si l’on
                     en 1727, le phénomène de la dévitrification.   retire la plaque du four avant que la dévitri­
                     11 avait maintenu pendant douze heures dans   fication soit complète, on remarque que la
                     un four à porcelaine, des objets en verre en­  cristallisation commence par la périphérie,
                     tourés de sable et de plâtre ; après ce temps le  pour aboutir au centre, et qu’il reste encore
                                                               au milieu une larme de verre transparente,
                       (1) Douze Leçons sur l’art de la verrerie. Dans les An­
                     nales du Conservatoire des arts et métiers.   non dévitrifiée.
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