Page 285 - Les merveilles de l'industrie T1
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                       comprendre et de dévoiler leurs secrets. . introduisant ce silex qui devenait blanc par
                         Toutes ces précautions devaient être inu- '  l’action du feu.
                       tiles. Un jour, un ouvrier inconnu dans le   Astbury en fit l’expérience sans retard. II
                       pays, et qui avait toutes les apparences de   mêla le silex broyé avec du sable et de la
                       l’idiotisme, tout en étant fort habile de ses   terre de pipe, et il obtint ainsi des pâtes
                       mains, se présenta chez les frères Elers.   très-blanches.
                       L’idiot Astbury fut introduit dans la fabri­  Par cette découverte la pâte blanche de
                       que, et bientôt on crut pouvoir se livrer en   faïence, c’est-à-dire la faïence fine, était
                       sa présence à toutes les manipulations. Mais   créée. La faïence fine n’est autre chose, en
                       le prétendu idiot était un homme d’une rare   effet, qu’une terre argileuse rendue très-
                       intelligence et d’une volonté de fer. Pen­  blanche par son mélange avec de la poudre
                       dant cinq ans il eut la patience de jouer le   de silex.
                       rôle pénible auquel il s’était condamné.
                       Enfin il quitta tout à coup l’établissement.  Nous voici arrivés à l’époque de Wedg­
                         Un an après on vit s’élever dans le pays   wood, le grand céramiste, le Bernard Palissy
                       une manufacture nouvelle, dans laquelle   de l’Angleterre. Mais Wedgwood eut cette
                       étaient appliqués tous les procédés des frères   supériorité sur l’inventeur français des rus­
                       Elers. Astbury avait vendu à plusieurs po­  tiques jigulines, que loin de faire mystère de
                                                                                                                                        Fig. 211, 212. —Pot à crème et théière en faïence de Wedgwood (ergam colw).
                       tiers du comté les secrets qu’il avait surpris.  ses procédés, il les répandit largement, et
                         Découragés par cette concurrence inat­  qu’il enrichit son pays d’une industrie de
                       tendue et déloyale, les frères Elers quittèrent   la plus grande importance sous le rapport          de ses occupations. 11 se mit à étudier, il   grès-cérame blanc. Peu de temps après il
                       la contrée. Plus tard, vers 1710, ils s’établi­  de la masse énorme des produits manufac­            fut son propre maître et s’adonna surtout   ouvrit un troisième établissement, où il
                       rent de nouveau aux environs de Londres,   turés.                                                    au dessin d’ornementation. Il se livra en­  fonda une plus grande usine, qui prit le
                       et contribuèrent par leurs connaissances    Josias Wedgwood était né à Burslem, en                   suite à des recherches scientifiques qui lui   nom de Bell-Works (travaux à la cloche) à
                       pratiques à fonder la belle manufacture de   1730. Il était le treizième enfant d’un petit           permirent bientôt, en mêlant des oxydes   cause de la cloche qui était employée pour
                       porcelaine de Chelsea.                    potier. D’après l’historien Shaw, presque                  métalliques à plusieurs espèces de terres,   l’appel des ouvriers.
                         Presque tout, dans les progrès de la céra­  personne ne savait ni lire ni écrire à Burs­           d’imiter les agates, les jaspes et autres   Les pièces sorties de Bell-Works commen­
                       mique anglaise, semble tenir de la lé­    lem, en 1710, c’est-à-dire cinquante ans après             pierres précieuses. Il fit, avec ces composi­  cèrent à établir d’une manière solide la ré­
                       gende ou du roman. L’addition de cailloux   la naissance de Wedgwood, ce qui permet de               tions artificielles, des manches de couteau   putation de Wedgwood. C’était une pote­
                       calcinés à la composition ordinaire de la   juger de l’état intellectuel de la population            qui furent bientôt recherchés par les cou­  rie couleur de crème (cream-colour) faite avec
                       pâte, invention importante qui conduisit à   de ce comté. Josias prit de bonne heure                 teliers de Sheffield et de Birmingham. Les   un vernis plombifère préalablement fondu
                       la fabrication des grès fins, est racontée   sa place dans l’atelier de son frère aîné.              bénéfices qu’il retira de cette petite industrie   ou fritté. Les terres les plus blanches
                       comme il suit dans les ouvrages anglais.  A l’âge de onze ans, il y remplissait les                  lui permirent d’agrandir le cercle de ses   des comtés de Devon et de Dorset, mêlées
                         Thomas Astbury, fils du potier Astbury   humbles fonctions d’apprenti. Pour comble                 opérations.                               au silex, composaient la pâte de cette po­
                       dont nous venons de parler, voyageait à   d’infortune, il fut atteint de la petite vérole,             Josiah Wedgwood eut successivement      terie.
                       cheval sur la route de Londres à Dunstable.   et cela d’une manière si violente qu’il resta          deux associés. Il ne commença à travailler   Quelques pièces en cream-colour ayant été
                       Son cheval fut subitement affecté d’une   boiteux. Plus tard, sa maladie s’aggrava                   seul qu’en 1760, dans une petite manufacture   offertes par Wedgwood à la reine, celle-ci
                       ophthalmie qui le força de s’arrêter dans   tellement qu’on fut obligé de lui couper la              couverte en chaume, selon l’usage de cette   commanda un service de table complet, et
                       une auberge. Le maître de l’auberge lui   jambe, ce qui le força d’abandonner le tour                époque. Il y fit surtout du grès, que l’on   lui accorda le titre de fournisseur de la
                       conseilla d’employer, pour le guérir, du cail­  du potier.
                                                                                                                            nommait alors écaille de tortue. Ses pièces qui   couronne. Toutes les poteries en couleur de
                       lou calciné. Thomas Astbury remarqua que    C’est à ce malheureux événement que                      représentaient des melonset des choux-fleurs   crème furent alors désignées en Angleterre
                       le caillou, qui était noir avant la calcination,   Wedgwood dut sa fortune. S’il avait con­          eurent surtout un grand succès. Wedg­      sous le nom de Poteries de la reine.
                       était devenu blanc par l’action du feu. 11   servé sa jambe, il fût resté simple potier, et          wood créa bientôt une deuxième manu­         La fortune de Wedgwood était désormais
                       pensa alors que l’on pourrait blanchir par­  fût devenu tout au plus un artiste distingué.           facture, dans laquelle il joignit à la fabri­  assurée. Par un travail incessant, il s’était
                       faitement la pâte des poteries rougeâtres en y   La perte d’un membre changea la nature              cation précédente celle de la poterie de   assimilé toutes les connaissances de la chi-
                                                                                                                                   T. i.                                                              36
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