Page 280 - Les merveilles de l'industrie T1
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POTERIES, FAÏENCES ET PORCELAINES.                             275


           dis que le troisième se tient debout; une   M. Demmin nous explique en ces termes
           servante au corsage rouge apporte de la   l'origine de ce violon de faïence :
           bière dans un pot de faïence blanche. Deux
           hommes fument et regardent, et ont, pour    « Ces violons de faïence ont été fabriqués à Delft
                                                     par des maîtres modeleurs, à l’occasion du mariage
           boire, un cruchon de grès bleu; ils se tien­
                                                     des filles de leur manufacturier à de jeunes peintres
           nent debout derrière les joueurs. L’un des   céramistes, mariages qui ont eu lieu le même jour,
          joueurs, en habit orange, pose un pion.    et où les corps des peintres, des modeleurs, des
             Cette dernière indication prouve que    potiers et des tourneurs ont ouvert les danses, cha­
                                                     cun avec un de ces violons de faïence en tète, et où
           cette plaque céramique n’est pas peinte
                                                     beaucoup d’autres ont joué sur des instruments de
           d’après des gravures, ni copiée. La scène   faïence et de leur fantaisie et faits par eux. Les jeu­
           que représente ce tableau se passe en plein   nes épouses ont alors conservés dans leurs familles
                                                     respectives, de génération en génération, ces quatre
           air, à la porte dîme maison. Les quelques
                                                     instruments commémoratifs de la noce, qui avaient
           traits jaunes par lesquels le peintre a indi­  été peints par les gendres du potier (1). »
           qué les manches de la servante, accusent le
           faire du maître. Le ciel bleu entremêlé de   Il n’existe, en effet, que quatre de ces vio­
           nuages blancs, sur lequel la feuille des ar­  lons de faïence de Delft. L'un appartient
           bres dessine ses contours, est lumineux, et   au Musée de Rouen, le deuxième au musée
           l’air y circule en abondance.             du Conservatoire de musique, à Paris; le
             Nous avons fait ressortir les différentes   troisième (celui dont nous reproduisons
           couleurs de cette plaque, pour montrer la   le croquis) fait partie de la collection de
           richesse de la palette du peintre céramiste   M. Demmin ; enfin le quatrième figure dans
           de Delft.                                 la collection d’un amateur d’Utrecht.
             La même remarque s’applique au beau       Quelques doutes se sont élevés sur l’au­
           plat de faïence peint en rouge et en bleu sur   thenticité de quelques-unes des poteries qu’a
           un fond blanc, qui existe au Musée de Cluny   fait connaître M. Demmin ou dont il a expli­
           et que nous représentons (fig. 208) pour   qué les signatures ; mais cet auteur se fût-il
           donner une idée fidèle delà faïence de Delft.  trompé parfois, et eût-il été victime d’une
             La figure 209 représente un violon en   de ces illusions d’amateur qui veut faire
           faïence, de Delft, en camaïeu bleu et décoré   triompher sa théorie, il n’en est pas moins
           d’une infinité d’ornements. Le dessin qui   vrai qu’il a rendu un grand service à la cé­
           orne cette pièce rare, montre des personna­  ramique en forçant les chercheurs à porter
           ges en costumes de la fin du règne de     des investigations plus sérieuses sur les pro­
           Louis XIII, dont la mise est un curieux spé­  duits de l’Allemagne, de la Hollande et de
           cimen des modes hollandaises de cette épc-   la Suisse.
           que. Trois personnes jouent de divers instru­  Nous avons dit que, vers le milieu du
           ments à cordes (un violon, une mandoline   xvue siècle, le nombre des manufactures
           et une basse) ; cinq autres dansent un me­  de faïence établies à Delft était de quarante-
           nuet et une dame se rafraîchit devant la   trois ; vers 1700, il en existait cinquante. Un
           table sur laquelle le crachoir n’est pas éloi­  auteur qui a traité de la céramique évalue
           gné de la classique chaufferette, ustensiles   même le nombre de ces établissements à
           indispensables de ménages hollandais. De   cent pour la première moitié du xvnf siècle.
           l’autre côté du même violon, sur sa face de   Quoi qu’il en soit, la prospérité de la poterie
           derrière, on voit planer quatre amours, qui   hollandaise s’explique par le goût, par la
           tiennent des branches; le tout entouré de   passion qu’excitaient en Hollande même les
           superbes ornements.                        (i) Guide de l'amateur, tome I, page 68.
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