Page 279 - Les merveilles de l'industrie T1
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                        presque toutes cassées ; il en existe pourtant   chiffre considérable, surtout celles qui se
                       quelques-unes intactes, et elles sont payées à   faisaient pour l’Angleterre, où l’on appelait
                        prix d’or par les amateurs.               la ville de Delft la mère de la poterie.
                          Il faut ajouter, d’ailleurs, que, d’après   Les premiers potiers de Delft avaient eu
                       quelques archéologues hollandais, des cru­  de grandes difficultés à combattre. Ils
                        ches de cette nature étaient déjà fabri­  avaient commencé par tirer leurs terres d’Al­
                       quées, à cette époque, dans d’autres localités.   lemagne et de Belgique, et ce ne fut qu’a-
                       Ces kannetjes figuraient dans les grands   près de nombreux essais qu’ils découvrirent
                        repas de corps. Ils étaient placés devant   que le sol même de Delft et du pays envi­
                       chaque convive, et ne servaient qu’une fois ;   ronnant renferme des argiles excellentes
                       ce qui explique la multiplicité des débris   pour la fabrication céramique.
                       qu’on a pu en recueillir.                    Le grand succès des faïences de Hollande
                          Cette absurde coutume de briser les verres   s’explique par plusieurs causes, les unes ar­
                        qui ont servi à boire à la santé d’un souve­  tistiques, les autres politiques et commer­
                        rain ou d’un chef de corporation, existe en­  ciales. De grands peintres, les JanSteen, les
                        core, de nos jours, dans plusieurs pays.  Jan van der Meer, les Ter Himpelen, les Jan
                          Nous donnons (fig. 207), un beau spéci­  Asselyn, etc., ne dédaignaient pas de déco­
                        men d’une poterie en grès-cérame, de pro­  rer les faïences de Delft. Ils produisaient ces
                       venance allemande. C’est une fontaine      belles plaques, ordinairement en camaïeu,
                        ellipsoïde, à col et à anse, d’une hauteur de   si recherchées des amateurs. D’un autre
                        70 centimètres. Elle est de couleur azurée   côté, la guerre de l’indépendance contre
                        et à grands reliefs ; elle appartenait à la   l’Espagne, qui eut pour résultat la sépara­
                        collection Sauvageot, et existe, par consé­  tion de la Hollande et des Pays-Bas, avait
                        quent, aujourd’hui, au Musée du Louvre.   arrêté le développement industriel des éta­
                          Plusieurs localités de l’Allemagne et des   blissements céramiques des Flandres, et
                        Elandres ont produit des grès-cérames re­  enrichi, au contraire, la Hollande, dont le
                        marquables. On cite surtout ceux de Ratis-   commerce prit une grande extension. En­
                        bonne et de Raireuth.                     fin, c’étaient les Hollandais qui faisaient
                          A Bunzlau, en Silésie, il existe un pot   exclusivement le commerce avec le Japon ;
                        qui dépasse en grandeur et en célébrité le   et ils tiraient de cette contrée, non-seule­
                        tonneau de Heidelberg. La corporation des   ment les porcelaines, qu’ils vendaient à des
                        potiers dîne chaque année, assise à une   prix fabuleux, mais encore d'excellents
                       grande table ronde, autour de ce colosse de   modèles pour leur propre industrie.
                       la céramique.                                C’est pour cela qu’en Angleterre on donna
                                                                  le nom de Delft aux porcelaines que l’on
                          Nous devons nous arrêter plus longtemps   importait du Japon, et que même lorsque
                       sur les faïences de Delft, ville de la Hol­  la Grande-Bretagne fut arrivée à produire
                        lande méridionale.                        elle-même des faïences fines, ce fut sous le
                          D’après quelques historiens, on fabriquait   nom de Delft qu’elles furent livrées aux
                       déjà de la faïence à Delft, en 1310, et l’in­  amateurs.
                       dustrie céramique y avait acquis une telle   M. Demmin donne dans son ouvrage le
                       importance que, vers le milieu du xviT siè­  dessin d’une faïence de Delft qui est décorée
                       cle, on comptait dans cette ville quarante-   d’une peinture de Van der Meer. On y voit
                        trois manufactures de ce genre de pote­   un groupe de trois joueurs de trictrac, dont
                       ries. Les exportations avaient atteint un   deux sont assis autour d’une table, tan­
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