Page 451 - Les fables de Lafontaine
P. 451
A MONSEIGNEUR LE DUC DE BOURGOGNE *
Monseigneur,
Je ne puis employer pour mes fables de proteetion qui me soit
plus glorieuse que la vôtre. Ce goût exquis et ce jugement si solide
que vous faites paraître dans toutes choses au-delà d’un âge où à
peine les autres princes sont-ils touchés de ce qui les environne
avec le plus d’éclat, tout cela, joint au devoir de vous obéir et à la
passion de vous plaire, m’a obligé de vous présenter un ouvrage
dont l’original a été l’admiration de tous les siècles, aussi bien
que celle de tous les sages ’. Vous m’avez même ordonné de conti
nuer ; et, si vous me permettez de le dire, il y a des sujets dont
je vous suis redevable et où vous avez jeté des grâces qui ont été
admirées de tout le monde. Nous n’avons plus besoin de consulter
ni Apollon *, ni les Muses *, ni aucune des divinités" du Par
nasse •. Elles se rencontrent toutes dans les présents que vous
a faits la Nature, et dans cette science de bien juger des ouvrages
de l’esprit *, à quoi vous joignez déjà celle de connaître toutes
les règles qui y conviennent. Les fables d’Ésope sont une ample
matière pour ces talents. Elles embrassent toutes sortes d’événe
ments et de caractères. Ces mensonges * sont proprement une
manière d’histoire, où on ne flatte personne. Ce ne sont pas choses
de peu d’importance que ces sujets. Les animaux sont les pré
cepteurs des hommes dans mon ouvrage. Je ne m’étendrai pas
davantage là-dessus : vous voyez mieux que moi le profit qu’on
en peut tirer. Si vous vous connaissez maintenant en orateurs et
en poètes, vous vous connaîtrez encore mieux quelque jour en
bons politiques et en bons généraux d’armée ; et vous vous trom
perez aussi peu au choix des personnes qu’au mérite des actions.
Je ne suis pas d’un âge à espérer d’en être témoin s. IJ faut que je
me contente de travailler sous vos ordres. L’envie de vous plaire
me tiendra lieu d’une imagination que les ans ont affaiblie. Quand
vous souhaiterez quelque fable, je la trouverai dans ce fonds-là.
Je voudrais bien que vous y pussiez trouver des louanges dignes
du monarque qui fait maintenant le destin de tant de peuples et
de nations, et qui rend toutes les parties du monde attentives à
1. Un ouvrage, les onze premiers'livres des Fables. L’original est le
recueil d’Ésope. —-2. La Fontaine a 73 ans en 1694.
LES FABLES DE LA FONTAINE. 15