Page 35 - La Lecture Expressive
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Lecture 14. Bamban <flnJ
III
1. A partir de ce jour, Bamban devint mon ami. J'appris sur
son compte des choses attendrissantes ... C'était le fils d'un maré-
chal ferrant, qui, entendant vanter partout les bienfaits de l'éduca-
tion, se saignait les quatre membres, le pauvre homme! pour
envoyer son enfant demi-pensionnaire au collège, et il n'y profitait
guère.
Le jour de son arrivée, on lui avait donné un modèle de hâtons
en lui disant:« Fais des bâtons I n Et, depuis un an, Bamban faisait
des bâtons. Et quels bâtons, grand Dieu !. .. tortus, sales, boiteux,
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clopinants , des bâtons de Bamban !
2. Je le regardais quelquefois, à l'étude, courbé en deux sur son
papier, suant, souffiant, tirant la langue, tenant sa plume à pleines
mains et appuyant de toutes ses forces, comme s'il eût voulu tra
verser la table ... A chaque bâton il reprenait de l'encre, et à la fin
de chaque ligne il rentrait sa langue et se reposait en se frottant les
mains.
3. Bamban travaillait de meilleur cœur maintenant que nous
étions amis ... Quand il avait terminé une page, il s'empressait de
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gravir ma chaire à quatre pattes et posait son chef--d'œuvre devant
moi, sans parler. Je lui donnais une petite tape affectueuse, en lui
disant : << C'est très bien! » C'était hideux, mais je ne voulais pas
le décourager.
4. De fait, peu à peu les bâtons commençaient à marcher plus
droit, la plume crachait moins. et il y avait moins d'encre sur les
cahiers ... Je crois que je serais venu à bout de lui apprendre quelque
chose ; malheureusement, la destinée nous sépara. Je fus chargé
de l'étude des moyens ...
5. Mes petits se désolaient de me voir partir. Le jour où je leur
fis ma dernière étude, il y eut un moment d'émotion. Ils voulurent
tous m'embrasser ... Quelques-uns, même, je vous assure, trouvèrent
des choses charmantes à me dire.
Et Bamban ? ... Bamban ne parla pas. Lentement, au moment
où je sortais, il s'approcha de moi, tout rouge, et me mit dans la