Page 33 - La Lecture Expressive
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             Lecture             13.  Bamban  <suite)

                                       II

            1.  Un  dimanche  entre  autres,  un  beau  dimanche  de  fête  et  de
          grand soleil,  il  m'arriva pour la promenade dans un état de toilette
          tel  que  nous  en  fûmes  tous épouvantés.  Vous  n'avez  jamais  rien
          rêvé  de  semblable.  Des  mains  noires,  des  souliers  sans cordon,  de
          la  boue  jusque  dans  les  cheveux,  presque  plus  de  culotte ...  un
          monstre.
            2  Quand je le vis prendre son  rang  parmi  les  autres,  paisible  et
          souriant comme -si  de  rien  n'était,  j'eus un mouvement d'horreur  1
          et d'indignation.
            Je lui criai : «Va-t'en! »
             Il  me regarda  d'un air triste  et soumis,  son  œil  suppliait ; mais
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          je fus inexorable  ,  et la division s'ébranla, le laissant seul, immobile
           au milieu  de  la  rue.
            3  Je  me  croyais  délivré  de  lui pour toute la journée,  lorsqu'au
          sortir  de  la  ville  des  rires  et  des  chuchotements  à  mon  arrière-
           garde  me  firent  retourner  la  tête.  A  quatre  ou  cinq  pas  derrière
           nous,  Bamban suivait la  promenade  gravement.
            -   Doublez  le  pas,  dis-je  :mx  deux  premiers.
            Les  élp•·es  comprirent  qu'il  s'agissait  de  faire  une  niche  3  au
          banral, et la division se mit à filer d'un train d'enfer.
            De temps en temps, on se retournait pour voir si Bamban pouvait
          suivre,  et  on  riait  de  l'apercevoir là-bas,  bien  loin,  gros  comme  le
          poing,  trottant  dans  la  poussière  de  la  route,  au  milieu  des  mar-
          chands  de  gâteaux et de  limonade.
            4.  Cet enragé-là  arriva à  la  Prairie presque en  même temps que
          nous.  Seulement,  il  était  pâle  de  fatigue  et tirait  la  jambe à  faire
          pitié.  J'en eux le  cœur touché, et,  un  peu  honteux  de ma cruauté,
          je  l'appelai  près  de  moi  doucement.  li  avait  une  petite  blouse
          fanée,  à  carreaux rouges,  la  blouse  du  Petit Chose 4,  au collège  de
          Lyon. Je la reconnus tout de suite, cette blouse, et, dans moi-même,
          je me  disais :  « Mi5érable,  tu n'as  pas  honte  ?  Mais  c'est toi,  c'est
          le  petit  Chose  que  tu  t'amuses  à  martyriser  ainsi.  »  Et,  plein  de
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