Page 23 - La Lecture Expressive
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Leoture 8. Le Petit Chose
1. Ce qui me frappa d'abord, à mon arrivée au collège, c'est que
j'étais seul avec une blouse. A Lyon, les fils de riches ne portent pas de
blouses ; il n'y a que les enfants de la rue, les cc gones », comme on dit.
Moi, j'en avais une, une petite blouse à carreaux ; j'avais l'air d'un
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11 gone » ... Quand j'entrai dans la classe, les élèves ricanèrent • On
disait : 1c Tiens, il a une blouse ! »
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Le professeur fit la grimace et me prit en aversion • Depuis lors,
quand il me parla, ce fut toujours du bout des lèvres, d'un air mépr~-
sant. Jamais il ne m'appela par mon nom ; il disait toujours : 11 Eh 1
vous, là-bas, le Petit Chose ! » ... Mes camarades me surnommèrent
le c1 Petit Chose », et le surnom me resta ...
2. Le Petit Chose se mit à travailler de tout son courage.
Brave Petit Chose I Je le vois, en hiver, dans sa chambre sans feu,
assis à sa table de travail, les jambes enveloppées d'une couverture.
Au dehors, le givre fouettait les vitres. Dans le magasin, on entendait
la voix de M. Eyssette qui dictait :
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c1 J'ai reçu Yotre honorée du 8 courant ... ,,
Et la voix de Jacques qui reprenait :
11 J'ai reçu votre honorée du 8 courant... »
3. De temps en temps, la porte dela chambre s'ouvrait doucement:
c'était Mme Eyssette qui entrait. Elle s'approchait du Petit Chose
sur la pointe du pied. Chut! ...
c1 Tu travailles ? lui disait-elle tout. bas.
Oui, mère.
- Tu n'as pas froid ?
- Oh! non!,,
4. Le Petit Chose mentait, il avait bien froid, au contraire.
Alors Mme Eyssette s'asseyait auprès de lui avec son tricot et
restait là de longues heures, comptant ses mailles à voix basse, avec
un gros soupir de temps en temps.
Alphonse DAUDET (Le Petit Clwse, Fasquelle, éditeur).
Lea mot■ : 1. Ricaner: rire à demi, par mequerie ou malice. 2, .A.version:
sentiment qûl vous détourne de quelqu'un et VOl'd& le fait détester. 3, M. Eyssette:
le père du • Petit Chose• : Jaccrues est le frère du • Petit Chose•·