Page 186 - La Lecture Expressive
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               Lecture       89. Le  chien  du  charcutier


               1.  Louison  et Frédéric s'en  vont à  l'école  par la  rue  du  village.
             Le  soleil  rit, et  les  deux  enfants  chantent.  Ils  chantent comme  le
             rossignol,  parce qu'ils ont comme lui le  cœur gai.  Ils chantent une
             vieille chanson qu'ont chantée leurs grand'mères quand elles étaient
             des  petites  filles,  et  que  chanteront  un  jour  les  enfants  de  leurs
             enfants ; car les  chansons  sont de  frêles  immortelles 1,  elles  volent
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             de lèvre en lèvre  à travers les âges. Les lèvres, un jour décolorées  ,
             se  taisent les  unes  après  les  autres,  et la chanson  vole  toujours ...
               2.  Louison  et Frédéric chantent ; leur bouche  est ronde  comme
             une  fleur,  et  leur  chanson  s'élance  aigrelette  4   et  claire,  dans
             l'air matinal. Mais voici que soudain le  son hésite  dans le  gosier de
             Frédéric.                                                  1
               Quelle  puissance  invisible  a  donc  étranglé  la  chanson  ctans  la 1
             gorge  de  l'écolier ?  C'est la  peur.  Chaque  jour,  il  rencontre  fatale-
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             ment  ,  au bout de la rue du village, le chien du charcutier, et chaque 1
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             jour il  sent  à cette  vue  son  cœur se  serrer et ses  jambes  mollir  . 1
               Pourtant le  chien du charcutier ne  l'attaque ni  le  menace.  II  est
             paisiblement assis sur le seuil de  la boutique de son maitre.  Mais il
             est noir, il a l'œil  fixe  et sanglant ; des  dents aiguës et blanches lui
             sortent des  babouines  •  Il  est effrayant. Et puis  il repose au milieu
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             de -chair  à pâté et de  hachis  de  toute sorte.  Il  en semble  plus  ter-
             rible.  On  sait bien  que  ce  n'est pas  lui  qui  a  fait tout ce  carnage,
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             mais il y règne. C'est une bête farouche  que le chien du charcutier.
               Aussi,  de  plus loin  que  Frédéric aperçoit  l'animal  sur le  seuil,  il
             saisit une grosse pierre, à l'exemple des hommes qu'il a vus s'armer
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             de  la  sorte  contre  les  chiens  hargneux  ,  et  il  va  rasant  le  mur
             opposé  à  la  maison  du  charcutier.
               3.  Cette fois encore il  en a usé pareillement. Louison s'est moquée
             de lui.
               Elle ne lui a tenu aucun de ces propos violents auxquels on répond
             d'ordinaire  par des  propos  plus  violents  encore.  Non,  elle  ne  lui  a
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