Page 182 - La Lecture Expressive
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Lecture 87. Le braconnier Raboliot
1. Raboliot enfourcha la clôture, et, pour aller plus vite, passa
Aïcha dans ses bras ; elle frémissait, les narines battantes :
- Allez ! i\.llez !
2. Il l'avait lâchée ; elle était partie à fond de train, galopant le
long du grillage. Il y eut aussitôt, en tous sens, des piétinements
menus, affolés, et tout à coup un choc grattant de griffes, un cri
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effilé , suraigu. Raboliot marcha vers sa chienne, noire, et boulée
contre le treillis, les ongles plantés raides en terre, un lapin pante-
lant dans la gueule.
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- Allez I Allez !
Aïcha desserra les mâchoires. Elle repartait déjà, pendant que
Raboliot, pattes d'une main, oreilles de l'autre, disloquait d'une
traction appuyée la colonne vertébrale du lapin.
3. Et dans l'instant cela recommença : les fuites désordonnées,
le choc sourd de la chienne se ruant contre le grillage, freinant des
pattes et labourant le sol, et le cri suraigu du lapin capturé.
Raboliot ne courait pas : il avait fort à faire pour soutenir l'allure
d'Aïcha ; mais il prévoyait chaque fois le point juste où elle allait
bondir ; dès que les crocs entraient dans le poil, la main de Raboliot
était là. Dans sa musette de toile, les petits cadavres chauds s'amon-
celaient : la bretelle commençait de lui tirer fort sur la nuque.
4. - Allez ! Allez !
Une nuit d'or, une besogne bien faite ! La petite noire avait le
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diable dans la peau. Étrangement muette, elle virevoltait , fonçait
soudain en flèche vertigineuse , bondissait à travers le champ,
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ainsi qu'un ténébreux follet •
De temps en temps, par-dessus l'épaule, Raboliot regardait vers
l'ouest, vers la maison du garde ... Et cependant ses mains n'arrê-
taient pas de travailler, arrachaient à la gueule d'Aïcha les lapins
qui gigotaient, empoignaient les oreilles et les pattes, et tiraient :
les vertèbres fragiles craquaient, la bête pesait, inerte et molle,
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comme une loque tiède. Au sac ! Il y en avait déjà sept ou huit, ot