Page 165 - La Lecture Expressive
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                        79.  Voyaie  à l'ile  des  Plaisirs
             Lecture

            1.  On  nous ass:ira  qu'il y  avait, à  dix lieues  de là, une tle  où se
          trouvaient des mines de jambons, de saucisses et de ragoûts poivrés.
          On les creusait, comme on creuse les  mines  d'or dans  le Pérou  •  Les
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          murailles  des  maisons  sont  de  croûtes  de  pâté.  Il  y pleut du vin
          quand le temps est chargé ; et, dans les plus beaux jours, la rosée du
          matin est toujours de vin blanc.
            2.  A peine fûmes-nous arrivés dans cette île,  que nous trouvâmes
          sur le  rivage  des  marchands qui vendaient de  l'appétit ; car on en
          manquait souvent parmi tant de  ragoûts.  Il  y  avait aussi  d'autres
          gens qui vendaient le sommeil. Le prix en était réglé tant par heure  ;
          mais il y avait des sommeils plus chers les uns que les autres, à pro-
          portion des songes qu'on voulait avoir. Les plus beaux songes étaient
          fort chers.  J'en demandai des  plus  agréables  pour mon argent ; et,
          comme j'étais las,  j'allai d'abord  me  coucher.
            3.  Mais à peine fus-je dans mon lit que j'entendis un grand bruit :
          j'eus peur, et je demandai du secours.  On  me  dit que c'était la terre
          qui s'entr'ouvrait.  Je crus  être  perdu ;  mais  on  me  rassura  en  me
          disant  qu'elle  s'entr'ouvrait  ainsi  toutes  les  nuits  à  une  certaine
          heure,  pour  vomir,  avec  grand effort,  des  ruisseaux  bouillants  de
          chocolat mousseux et des liqueurs glacées de toutes les façons. Je me
          levai à la  hâte pour en prendre, et elles étaient délicieuses.  Ensuite
           je me recouchai.
            4.  A  peine  fus-je  éveillé  qu'il  vint  un  marchand  d'appétit,  me
          demandant de  quoi  je voulais  avoir faim,  et si  je voulais  qu'il  me
          vendît des relais d'estomac pour manger toute la journée. J'acceptai
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          la condition. Pour mon argent, il me donna douze petits sachets  de
          taffetas •  que  je  mis  sur  moi,  et  qui  devaient  me  servir  comme
          douze  estomacs  pour  digérer  sans peine  douze  grands  repas en  un
          jour.
            5.  A peine  eus-je  pris  les  douze  sachets,  que  je  commençai  à
          mourir de faim. Je pa~sai ma journée à faire douze festins délicieux.
           Dès qu'un repas était fini,  lafaim me reprenait. Mais,  le  soir,  je fus
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