Page 27 - Vincent_Delavouet
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           times d’aiguilles, dont ils n’avaient peut-être même pas
           besoin.
             Bref, cette journée me fut des plus fructueuses, et je ne
           pus que me réjouir de cette idée lumineuse, qui tout d’un
           •coup me redonnait un courage surhumain.
             Je ne me rappelle guère si je mangeai seulement une croûte
           de pain ce jour-là, ni où et comment je passai la nuit, mais
           je me sentais pleinement heureux ; j’avais enfin trouvé ma
           voie.
             Le lendemain, je fis en sens inverse la même promenade
           que la veille, entrai hardiment dans les maisons oubliées
           la veille, interpellai les passants, bref, je fis si bien que
           mon stock était écoulé quand je me retrouvai devant ma
           mercerie et qu’en comptant mon trésor, j’étais en possession
           d’environ 35 francs, alors que mon point de départ de la
           veille était 11 fr. 75 !
             Le lecteur peut juger si ce premier résultat était encoura­
           geant pour moi ; aussi, n’hésitai-je pas à acheter 25 francs,
           soit 5 dollars de marchandises nouvelles. Cette fois, non
           seulement mon assortiment était plus complet, mais le
           choix plus judicieux. Et, pour comble de bonheur, j’avais
           eu la chance de me fournir dans une maison de gros !
             Cette seconde expédition dura trois jours. Le système
           jovial qui m’avait si bien réussi fut continué de la même
           manière ; ma figure réjouie et ma qualité de Français (esti­
           mée dans le pays) continuèrent à me faire récolter nombre
           de clients plus généreux les uns que les autres. Au bout de
           trois jours, j’avais en caisse, bien à moi, une soixantaine de
           francs (une petite fortune !).
             Pour ma troisième expédition, je résolus de frapper un
           grand coup ! Il me fallait réussir ou sombrer ! A cet effet,
           je me fis remettre sur mes 60 francs disponibles, pour dix dol­
           lars (soit 50 fr.) de marchandises et me lançai dans la direc­
           tion du nord-ouest, à tout hasard, droit devant moi.
             Inutile de dire que ma nourriture était des plus rudimen­
           taires (pain, fromage et eau claire) ; j’avais cependant
           trouvé, pour m’abriter la nuit, de petits hôtels, dénommés
           « saloon » où, moyennant une légère collation prise le soir,
           et 50 centimes environ versés, donnaient droit à une ban-
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