Page 26 - Vincent_Delavouet
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                   A Baltimore, tout dépaysé, je parvins non sans peine à
                 me faire remettre des vivres, contre la monnaie que l’on
                 me demandait et que j’étais incapable de vérifier, puis un
                 employé de chemin de fer finit par comprendre que je dési­
                 rais me rendre à Chicago et, après m’avoir fait étaler le
                 restant de mes billets et de mes pièces, prit la somme néces­
                 saire pour le coût de ce billet.
                   J’erais enfin dans la bonne voie ; après douze heures
                 d’express, j’arrivai enfin à Chicago. Entre temps, j’avais
                 fait le compte de mon avoir : Il ne me restait, pour toute
                 fortune, qu’une somme de 11 fr. 75 de notre monnaie, équi­
                 valent à un peu plus de deux dollars^!!!.....
                  Que faire ? Que devenir ? Sans aucun appui, ne connais­
                sant pas la langue anglaise, isolé dans cette foule indiffé­
                rente, il y avait de quoi se livrer au plus sombre désespoir.
                  Offrir mes services ? A qui ? Comment m’expliquer au
                milieu de ces gens affairés, tout occupés de leur « business » !
                  C’est alors qu’une inspiration miraculeuse me vint ! Je
                me trouvais alors dans un quartier commerçant, devant
                un magasin qui vendait de la mercerie. Ce fut pour moi une
                révélation qui décida de ma vocation : je serais colporteur.
                J’entre dans ledit magasin, fais comprendre, par gestes, que
                je désire acheter fil, aiguilles, boutons, etc. L’on me garnit
                une boîte d’un assortiment qui me coûta environ neuf francs
                (un peu moins de deux dollars) et, aussitôt dans la rue, je
                me mis à offrir ma « camelotte » aux passants que je ren­
                contrais. Il faut croire que ma figure était sympathique et
                que mon boniment fait en français amusa les gens rencon­
                trés. Toujours est-il que les objets payés par moi un ou deux
                sous s’enlevaient rapidement à cinq et six sous et que je
                voyais avec joie les piécettes gonfler mes poches.
                  Arrivé dans les faubourgs de la ville, je changeai de
                tactique. Comme les passants devenaient plus rares, je me
                hasardai à entrer résolument dans les villas et maisons par­
                ticulières qui bordaient ma route ; le résultat fut encore
                meilleur pour moi, eii ce sens que les gens, prenant de suite
                de la sympathie pour ce Français aventureux, n’hésitaient
                pas à me payer un franc et même plus la « valeur de dix cen­
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