Page 724 - Les merveilles de l'industrie T1
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720                   MERVEILLES DE L’INDUSTRIE.

               avec un tampon de bois. Les ballons, conte­  sur la fabrication était considérable, puis­
               nant une certaine quantité d’eau, étaient   que le prix de Vacide anglais descendit à 50
               placés sur deux rangs, dans un long bain de   centimes le kilogramme.
               sable, que l’on chauffait légèrement. Dans   En France, la première chambre de
               chaque col, ou ouverture du ballon, était une   plomb pour la préparation de Yacide anglais
               brique. Un ouvrier déposait sur cette brique   fut établie à Rouen. Cette importation du
               une cuiller de fer rougie au feu, remplie d’un   procédé de Roebuck et Garbett était due à
               mélange de soufre et de nitre ; il bouchait   un Anglais nommé Holker.
               aussitôt l’ouverture du ballon avec le tampon   Ce Holker n’était pas un homme ordi­
               de bois, et passait au ballon suivant, qu’il   naire. Il était attaché à la famille et à la
               chargeait de la même manière du mélange   cause des Stuarts, et il avait longtemps com­
               de soufre et de nitre. Il chargeait tous les   battu près de son roi, en Écosse. Fait pri­
               ballons successivement, et revenait ainsi à   sonnier par les troupes de Cromwell, il fut
               son point de départ. Là, il recommençait la   condamné à mort. Ayant heureusement
               même opération, et était ainsi occupé sans   réussi à s’évader, la veille même du jour
               cesse à introduire dans les ballons le mé­  fixé pour son exécution, il s’était réfugié en
               lange combustible, au furet à mesure que la   France. Là, il avait pris du service et était
               combustion était opérée dans chaque ballon.   entré dans un régiment irlandais. Il avait en­
               L’acide sulfurique provenant de la transfor­  suite quitté le service militaire, pourfaire pro­
               mation de l’acide sulfureux se condensait   fiter les établissements français des procédés
               dans l’eau du ballon. Au bout de quelques   et perfectionnements de l’industrie anglaise.
              jours on réunissait tous ces liquides, et on   Naturalisé Français par Louis XV, nommé
              les évaporait dans des chaudières de plomb.  inspecteur général des manufactures, Holker
                 Ce procédé pour la préparation de Y huile   alla s’établir à Rouen, où il créa des filatures
              de soufre par la cloche permit de réduire   de coton et des fabriques de tissus, parti­
              beaucoup le prix de cet acide : de 33 francs   culièrement de velours de coton, étoffe alors
              le kilogramme, qu’il valait en Angleterre, il   inconnue en France. Il avait créé de pareils
              descendit au prix de 6 francs.             établissements à Sens, à Montargis et à Mon-
                 En 1746, un autre et remarquable perfec­  tereau.
              tionnement fut introduit dans la préparation   Décidé à faire jouir la France du nouveau
              de Y acide anglais. Deux industriels, Roebuck   procédé de la fabrication de l’huile de vi­
              et Garbett, remplacèrent les ballons de verre   triol dans les chambres de plomb, Holker
              de Ward par des chambres, composées par    ne craignit pas, quoique toujours sous le
              l’assemblage de grandes lames de plomb :  coup d’une condamnation capitale, de re­
              soudées les unes aux autres et formant une   tourner en Angleterre, pour s’initier au pro­
              très-vaste enceinte. On plaçait sur un    cédé de fabrication de cet acide. Il prit le
              chariot posé sur les rails d’un petit chemin   costume d’un ouvrier, et s’introduisit dans la
              de fer, une large capsule en tôle, dans la- ,  manufacture de Rœbuck et Garbett. Il y tra­
              quelle brûlait le mélange de soufre et de ni­  vailla un certain temps, puis il revint à
              tre, et on poussait le chariot au milieu de la   Rouen, en 1766, avec quelques ouvriers an­
              chambre de plomb.                         glais qu’il avait embauchés, et il établit au
                 C’est à Birmingham, et suivant d’autres à   faubourg Saint-Séver, une fabrique d’acide
              Prestonpans, en Écosse, que Roebuck et    sulfurique par le système des chambres de
              Garbett établirent leur première chambre de   plomb. Cette première fabrique en fit créer
              plomb. L’économie réalisée par ce moyen    beaucoup d’autres en France.
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