Page 189 - Album_des_jeunes_1960
P. 189

MONSIEUR EIFFEL ET SA TOUR                                      187

                Eiffel démarre lentement                    redingote et ses élégants souliers, plongea et réussit
                                                             à ramener l’homme sur la berge. Puis il remit
         Gustave Eiffel naquit à Dijon en 1832 dans          gravement ses souliers, boutonna sa redingote
         une famille aisée. Il échoua au concours de         par-dessus ses vêtements ruisselant d’eau et, se
         l’Ecole polytechnique, mais obtint le diplôme      tournant vers les ouvriers qui l’applaudissaient, il
         d’ingénieur de l’Ecole centrale, et entra dans une   leur dit de son ton le plus calme :
         société de constructions de chemin de fer.            — Ayez la bonté à l’avenir de rester sur vos
            Pendant deux ans il resta docilement assis      échafaudages. J’aime me baigner, mais pas tout
         devant sa table à dessin, sans rien produire qui   habillé.
         sortît vraiment de l’ordinaire. Sa mère, une          Après cela, il n’eut plus jamais d’ennuis avec
         femme de tête énergique qui tenait un commerce     son équipe.
         de bois et charbons florissant, en concluait triste­
         ment que Gustave n’irait jamais très loin. Gustave     Un rêveur doublé d’un homme
         souriait et lui tapotait la main.                                    d’affaires
            — Patience, maman, disait-il. J’ai des idées,
         tu verras.                                         La réussite du pont sur la Garonne donna à
                                                            Eiffel la confiance qui lui manquait.
               La rupture avec la routine                      — Mon père, devait-il dire un jour, m’a
                                                            appris à rêver. Ma mère m’a inculqué le sens des
            ers 1850 les réseaux de chemins de fer euro­    affaires. Le mélange a été fructueux.
         péens étaient en pleine expansion. Leur dévelop­      En 1866, avec les encouragements chaleureux
         pement n’était freiné sérieusement que par le      de M. Eiffel père et l’appui financier de sa femme,
         manque de ponts, qui à l’époque étaient encore     la société Eiffel fut fondée. La modeste plaque
         bâtis pour la plupart en maçonnerie, et dont la    de cuivre apposée sur la porte du bureau de
         construction exigeait de nombreux ouvriers qua­    Paris annonçait : Gustave Eiffel, ingénieur. Cons­
         lifiés. Eiffel se dit que la solution du problème   tructions métalliques en tous genres. En vingt
         consistait à employer des éléments préfabriqués    ans, Eiffel allait devenir le constructeur le plus
         en fer, qui pourraient être assemblés par une      demandé de toute l’Europe.
         main-d’œuvre non spécialisée. Il réunit tous les      Un jour, au début de sa carrière, il reçut la
         renseignements qu’il trouva sur le fer et sur les   visite du sculpteur Bartholdi, qui lui conta ses
         efforts de tension et de compression que ce métal   ennuis. Quelques années auparavant, Bartholdi
         pouvait supporter.                                 avait conçu l’idée d’édifier une statue de la
            Lorsque les Chemins de Fer du Midi char­        Liberté qui symboliserait à jamais l’amitié entre
         gèrent la société qui l’employait de construire un   la France et les Etats-Unis. Une souscription
         pont de 480 mètres sur la Garonne, à Bordeaux,     publique avait permis de recueillir des millions
         Eiffel élabora un projet qu’il soumit à ses chefs.   de francs, et le sculpteur s’était mis à l’œuvre
         Son étude bouleversait tous les principes ; mais   lorsque les ingénieurs s’aperçurent qu’il n’y avait
         les calculs d’Eiffel étaient exacts et son enthou­  apparemment aucun moyen de protéger 45 mètres
         siasme contagieux. Le projet fut accepté. Et tan­  de statue contre les vents violents de la baie de
         dis que les meilleurs ingénieurs s’attendaient à   New York.
         voir le pont s’effondrer en entraînant Eiffel dans    Eiffel bondit :
         sa chute, on mit en place les piles, les poutrelles   — Cette statue glorieuse doit être construite.
         et le treillis de l’ouvrage. Il fut construit en moitié   Rapidement, son bureau d’études établit les
         moins de temps et pour moitié moins d’argent       plans d’une ossature en acier assez légère pour
         que jn’en aurait demandé un pont ordinaire. A      être fixée sur un piédestal relativement petit et
         29 ans Eiffel venait d’introduire la première inno­  cependant assez résistant pour affronter les plus
         vation dans le réseau des voies de communica­      terribles rafales. Et tandis que les autres ingé­
         tion de l’Europe.                                  nieurs ricanaient, Bartholdi construisit sa statue
            Pendant la construction de l’ouvrage, le jeune   autour de la simple armature métallique que les
         Eiffel eut du mal à faire régner la discipline parmi   ateliers d’Eiffel lui avaient fournie. Du coup,
         les rudes ouvriers monteurs. L’un d’eux tomba un   les architectes se mirent à employer l’ossature
         jour dans la Garonne. Eiffel retira vivement sa    métallique dans toute sorte de constructions.
   184   185   186   187   188   189   190   191   192   193   194