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130 LOUIS ARMSTRONG, GEANT DU JAZZ
1900. C’était le coin des dancings et des bas Rendu à la liberté, l’adolescent trouva du tra
tringues. Le quartier n’était pas seulement pauvre, vail pendant le jour comme livreur chez un
il était mal famé. Louis assistait quotidiennement charbonnier et pendant la nuit comme musicien
à des bagarres qui se terminaient souvent par des dans un beuglant. Quand il en avait le temps, il
coups de feu. Le petit garçon fréquenta cependant faisait des courses pour la femme de son chef
l’école assez longtemps pour apprendre à lire et d’orchestre Joe Oliver, le grand < King » Oliver.
à écrire. Et ce fut dans ces rues misérables qu’il King le payait en leçons particulières. En 1918,
découvrit le jazz. Oliver étant parti pour Chicago, Louis se vit offrir
Au début du siècle, La Nouvelle-Orléans une place dans un autre orchestre à la condition
regorgeait d’orchestres noirs. Des musiciens qu’il se procurerait un pantalon long. Il acquit
inconnus créaient le jazz à partir des rythmes peu à peu la réputation d’être le meilleur piston
populaires que leurs ancêtres, venus d’Afrique en de La Nouvelle-Orléans.
esclavage, avaient apportés en Amérique avec eux. Oliver le pressait de le rejoindre à Chicago, qui
Ces orchestres jouaient n’importe où : dans les était devenue la nouvelle capitale du jazz. Un
rues, dans les bistrots, dans les dancings. Toutes jour d’août 1922, Armstrong finit par se décider.
les occasions leur étaient bonnes : mariages, Il fit sa valise et quitta La Nouvelle-Orléans.
enterrements, pique-niques et parades. Le petit A Chicago, le jeune musicien ne tarda pas à
Louis qu’on avait surnommé Satchelmouth éclipser son maître. Les enregistrements qu’il fit
(Bouche en Sacoche), en raison du grand sourire en 1922 avec ses formations : « Hot Five » et
qui étirait sans cesse sa bouche enfantine, s’était « Hot Seven » sont devenus des classiques du
enrôlé dans l’armée de gosses qui suivait partout jazz. Il avait d’ailleurs abandonné le cornet à
les fameux orchestres. Que de nuits il a passées, pistons pour la trompette, son imprésario trouvant
traînant à la porte d’un café, écoutant des musi que la grande trompette impressionnerait davan
ciens noirs qui devaient un jour devenir célèbres !. tage le public.
Armstrong, quand il était enfant, fut pauvre et Ce fut le vertigineux succès de vente de ses
même très pauvre. Pour gagner quelques sous, il disques en Europe qui décida Armstrong à entre
dut livrer du charbon, accompagner la voiture prendre sa première tournée sur l’ancien conti
d’un chiffonnier dans ses tournées, vendre des nent. Quand il y revint pour la seconde fois, en
journaux au coin des rues. Il y eut des mauvais 1933, le musicien noir fut accueilli de capitale en
jours, où on le vit chercher sa nourriture dans les capitale « comme un roi en visite », selon
poubelles des restaurants. l’expression d’un journaliste. A Copenhague, il y
Cependant, à douze ans il avait déjà fondé un eut 10 000 personnes à la gare pour l’acclamer.
quatuor qui allait jouer de place en place en Il fut reçu par le prince de Galles — aujourd’hui
échange d’un repas gratuit. duc de Windsor — par le prince héritier de
Aujourd’hui, Armstrong affirme que le milieu Suède, par le roi des Belges et par le roi d’Italie.
dans lequel se déroula sa jeunesse fut une excel Louis gagna jusqu’à 125 000 livres par an,
lente école. Le bien, le mal, il a tout vu. Il en tire environ 200 millions de francs. Cependant, il ne
une conclusion qu’il se plaît à répéter : s’intéresse guère à l’argent, et son imprésario est
— On ne fait le mal que si on le veut bien. tout le temps en train d’intervenir pour l’em
Pourtant, un jour, il se trouva en difficulté pêcher de distribuer autour de lui ce qu’il gagne.
avec les autorités, et, chose curieuse, ce fut cet Pour garder sa voix, il boit un mélange de
incident qui le mit sur le chemin de la gloire. glycérine et de miel. Pourtant, cette voix célèbre,
Pour célébrer dignement la Saint-Sylvestre et perpétuellement enrouée, a été comparée aux
apporter sa contribution au charivari traditionnel, grincements d’une feuille de papier de verre
Louis s’était muni d’un vieux pistolet trouvé dans appelant l’âme sœur...
la malle de son beau-père. Les agents lui mirent Aucun musicien n’a soulevé autant d’enthoü-
la main au collet au moment précis où il tirait sa siasme chez les critiques musicaux. L’un d’eux a
dernière cartouche à blanc. Le tribunal pour écrit : « En d’autres mains, le jazz a pu être une
enfants lui infligea un séjour de dix-huit mois musique bruyante et pénible pour les nerfs.
dans un foyer de jeunes Noirs abandonnés, et Quand Armstrong joue, quand il chante de sa
c’est pour faire partie de la musique de cette voix râpeuse et prenante, le jazz devient simple
institution qu’il apprit à jouer du cornet à pistons. ment un art, un grand art. »
Adapté de Mayfair