Page 279 - La Lecture Expressive
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Lecture 134. La Patrie aux soldats morts
Vous ne reverrez plus les monts, les bois, la terre,
Beaux yeux de mes soldats qui n'aviez que vingt ans,
Et qui êtes tombés en ce dernier printemps
Où plus que jamais douce apparut la lumière ...
Hélas ! où sont vos corps jeunes, puissants et fous,
Où, vos bras et vos mains et les gestes superbes 1
Qu'avec la grande faux vous faisiez dans les herbes ?
Hélas ! la nuit immense eet descendue en vous ...
Mais je ne veux pas, Moi, qu'on voile vos noms clairs,
II
Vous qui dormez là-bas dans un sol de bataille
Où s'enfoncent encor les blocs de la mitraille
Quand de nouveaux combats opposent leurs éclairs.
3
Je recueille en mon cœll!' votre gloire meurtrie ,
Je renverse sur vous les feux de mes flambeaux
Et je montii la garde autour de vos tombeaux,
Moi qui suis l'avenir, parce que la Patrie.
Émile VERHAEREN
(Les Ailes rouges de la Guerre, Mercure de France, éditeur).
Les mots : 1, Superbe : proprement, qui est au-dessus, d'où l'idée de place
élevée, de fierté. (Cette même idée se trouve dans supérieur, supréme, souverain.)
Il s'agit ici des ge~tes du faucheur, remplis de force, de noblesse, de beauté.
2, Voile : qu'un voile cache vos noms, qu'on vous oublie. 3. Votre gloire meur-
trie : votre gloire faite de vos blessures et du sacrifice de votre vie.
Les Idées : Ces vers ont été écrits en 1915, pendant la Grande Guerre. C'est
la Patrie qui parle aux jeunes soldats tombés pour elle.
1, Elle plaint leur destin el elle pleure leur mort. Comment le poète met en relief
la tristesse douloureuse de ces deuils : vous ne reverrez plus ... , la jeunesse des
disparus, la douceur de la lumière et de la vie, leur force, leur travail (des Vc?rs
qui s'allongent: 6• et 7• vers), leurmort(Ies syllabes lentes et sourdes de ce 8• vers).
2. Elle ne veut pas que leurs noms soient oubliés, et elle recueille dans son cœur
la mémoire de leur glorieux sacrifice,
Le sens du dernier vers : la patrie Immortelle gardera l'éternel souvenir des
héros.