Page 282 - La Lecture Expressive
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f Leoture 136. Grandgousier et la paix
II
1. Grandgousier, après souper, se chauffait à un grand feu clair.
Tout en faisant griller des châtaignes, il s'amusait à écrire sur les
cendres du foyer avec le bâton brûlé d'un bout dont on attise le feu,
et il disait à sa femme et à sa famille un beau conte du temps jadis.
Un des bergers qui gardaient les vignes demanda à lui parler. Il
lui raconta les excès et les pillages que faisait Picrochole dans ses
terres et domaines.
2. « Hélas I hélas I dit Grandgousier, qu'est ceci, bonnes gens ?
Rêvé-je, ou ce qu'on me dit est-il vrai ? Picrochole, de tout temps
mon ami, me vient assaillir ? Qui le pousse? Qui le conseille? Oh l
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oh I mon Dieu, inspire-moi, conseille-moi ce qu'il faut faire. Je jure
que jamais je ne lui ai causé dommage ; bien au contraire; je l'ai
secouru de soldats, d'argent, d'amitié, de bon conseil, toutes les
fois que j'ai pu le faire.
« Hélas ! ma vieillesse ne demandait que le repos, et, toute ma vie,
je n'ai rien recherché que la paix. Mais il faut, je le vois bien, que
maintenant je charge d'une armure mes épaules faibles et lasses, et
qu'en ma main tremblante je prenne la lance et la masse d'armes
pour secourir et protéger mes pauvres sujets.
« La raison le veut ainsi : car de leur labeur je suis entretenu, de
leurs sueurs je suis nourri, moi, mes enfants et ma famille. Cepen-
dant je n'entrerai pas en guerre sans avoir essayé de tous les moyens
de paix.»
3. Là-dessus Grandgousier fit convoquer son conseil, et il fut
décidé qu'on enverrait un homme calme et sage auprès de Picrochole
afin de savoir pourquoi les terres avaient été envahies.
Puis il écrivit à son fils Garguantua :
a La trahison de nos amis et alliés a mis fin à la tranquiIIu sécu-
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rité de ma vieillesse. Je ne veux point provoquer , mais apaiser 4 ;
je DP veux point assaillir, mais défendre ; point conquérir de terres,
mais garder mes sujets et mes terres dans lesquelles est entré en