Page 280 - La Lecture Expressive
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         Lecture         135.  Picrochole  en  guerre

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         I.  Les  bergers  de  la  contrée  gardaient  les  vignes  pour empêcher
       les  étourneaux  de  manger  les  raisins.
         Des  marchands de  fouaces  venant de  Lerné vinrent à passer sur
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       la grand'route, menant dix à douze charges de fouaces à b  ville. Les
       bergers  demandèrent  courtoisement  2   à  en  acheter,  au  prix  du
       marché ;  car  notez  que  c'est  régal  céleste  de  manger  à  déjeuner
       raisins  avec  fouaces  fraiches.
         Mais les marchands refusèrent, les appelant gourmands, lourdauds,
       fainéants,  vauriens,  gueux,  traine-savates.  « Ce  n'est  point  à  vous,
       dirent-ils,  à  manger  de  ces  belles  fouaces  ;  vous  autres,  vous  avez
       une  tête  à  manger  du  gros  pain et  du  tourteau ! »
         Et les  coups  de  pleuvoir.
         Les  charretiers  faisaient  tourbillonner  leurs  fouets  de  cuir ;  les
       bergers  ripostaient  à  grands  coups  de  pierres,  et  les  paysans,  leur
       venant en aide, frappaient à  grands coups de  gaules et d'échalas les
       marchands insolents  ,  qui  bientôt demandèrent grâce.  Finalement,
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       les paysans leur enlevèrent quatre à cinq douzaines de fouaces, mais
       les  leur  payèrent au prix accoutumé.
        2.  A  peine  les  marchands  de  gâteaux revinrent-ils  à  Lerné  qu'ils
       allèrent  se  plaindre  à  leur  roi  Picrochole,  montrant  leurs  paniers
       brisés,  leurs  bonnets  froissés  et  leurs  robes  déchirées.
         <c  Ce  sont  les  bergers  et les  métayers  de  Grandgousier,  dirent-ils,
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       qui nous ont assaillis  près de la grand'route, au delà de Seuillé.  »
        Aussitôt  Picrochole  entra  dans  une  colère  furieuse,  et,  sans  plus
       d'explications, fit crier par tout le  pays que chacun, sous peine d'être
       pendu, devait venir en armes sur la grande place du château, avant
       midi.
        3.  Et ainsi, sans ordre et sans mesure, l'armée de Picrochole partit
       par les  champs, gâtant tout sur son passage, n'épargnant ni pauvre,
       ni riche, emmenant bétail et volailles, abattant les noix, vendangeant
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