Page 286 - La Lecture Expressive
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          Lecture     138  La  défaite  de  Picrochole

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          1.  Quand Gargantua reçut à Paris la lettre de son père, il monta
        sur sa grande  jument et revint en toute hâte.
          Sur le  chemin,  avisant un gros  arbre feuillu  : « Voici ce qu'il mr
        fallait, dit-il.  Cet arbre me servira de  bâton et de  lance. »
          Il l'arracha facilement de  terre, et en ôta les rameaux.
          Arrivant  près  du  château  de  Vède,  qu'il  croyait occupé  par les
        troupes de Picrochole, il  s'écria tant qu'il put:
          <<  Etes-vous là, ou n'y êtes-vous pas ? Si vous y êtes, ni soyez plus ;
        si vous n'y êtes pas, je n'ai rien à dire. »
          2.  Mais un canonnier lui tira un coup de canon et l'atteignit droit
        à la tempe, sans lui faire plus de mal, d'ailleurs, que s'il lui eût jeté
        une  prune.
          « Qu'est cela ?  dit Gargantua,  nous  jetez-vous des  grains  de  rai-
        sin 'l  La vendange vous coûtera cher ! » II croyait  réellement que  le
        boulet fût un grain de raisin.
          Ceux  du  château coururent aux remparts et lui  tirèrent plus de
        neuf  mille  vingt-cinq  coups  de  canon  ou d'arquebuse,  visant  à la
        tête.
          « Ponocrates  mon ami, dit Gargantua, ces mouches m'aveuglent,
        donnez-moi  quelque  rameau  de  saule  pour les  chasser. » II  croyait
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        être piqué par des mouches  bovines  •
          « Ce  sont des  coups  de  l'artillerie  du  château »,  dit  P~riocrates.
        Alors  Gargantua  frappa  de  son  grand  arbre  contre  le  château  et
        abattit à grands coups tours et forteresses et démolit tout par terre.
          3.  Gargantua  et  ses  compagnons  poursuivirent  leur  route  et
        arrivèrent  au  château  de  Grandgousier,  qui  les  attendait  avec
        grand désir ...
          Gargantua marcha alors contre la Roche-Clermaud et s'en empara.
        Le  capitaine  Touquedillon  fut  fait  prisonnier ;  mais  Grandgousier
        lui rendit la liberté en lui disant : <<  Le temps n'est plus de conquérir
        les  royaumes,  au  grand  dommage  de  son  prochain.  Et ce  que  les
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        Sarrasins  et les  Barbares, jadis, appelaient prouesses  , maintenant
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