Page 249 - La Lecture Expressive
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         Lecture       120.  Une  soirée  au  jardin


        1.  Neuf  heures,  l'été,  un  jardin  que  le  s01r  agrandit,  le  repos
      avant le  sommeil.
        Des pas pressés écrasent le  gravier, entre la terrasse et la  pompe,
      entre  la  pompe  et  la  cuisine.  Assise  près  de  terre  sur  un  cc  petit
      banc  de  pied »  meurtrissant 1,  j'appuie  ma  tête,  comme  tous  les
      soirs, contre les genoux de ma mère, et je devine, les  yeux  fermés:
        cc  C'est  le  gros  pas  de  Morin  qui  revient  d'arroser  les  tomates ...
      C'est le  pas  de  Mélie  qui va vider les  épluchures ...  Un  petit pas  à
       talons :  voilà  l\Ime  Bruneau  qui  vient  causer  avec  maman ... "

        2.  Une  jolie  voix  tombe  de  haut, sur moi:
        « Minet-Chérie,  si  tu  disais  bonsoir gentiment à  Mme  Bruneau 'l
        -  Elle  dort à  moitié,  laissez-la, cette petite ...
        -  Minet-Chérie, si tu dors,  il  faut aller te coucher.
        -- Encore  un  peu,  maman,  encore  un  peu  ?  Je  n'ai  pas  som-
      meil...»
        Une  maïn  fine,  dont je chéris les  trois  durillons  qu'elie  doit au
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      râteau,  au  sécateur et au  plantoir,  lisse  mes  cheveux,  pince  mon
      oreille :
          Je  sais,  je  sais  que  les  enfants  de  huit  ans  n'ont  jamais
      sommeil.»
        3.  Je reste,  dans le  n.2ir,  contre les  genoux de maEJan. Je  ferme.
      sans dormir, mes yeux inutiles. La robe de toile que je presse de ma
      Joue  sent le  gros savon,  la cire  dont on lustre  les  fers  à  repasser
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      et la violette.
        Si  je  m'écarte  un  peu  de  cette  fraîche  robe  de  jardinière,  ma
      tête plonge tout de suite dans une zone de parfum  qui nous baigne
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      comme  une  onde  sans  plis : le  tabac  blanc  ouvre la nuit ses  tubes
      étroits de  parfum et ses  corolles en étoile.
        Un  rayon, en touchant le  noyer,  l'éveille : il  clapote,  remué  jus-
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      qu'aux basses  branches par une mince rame  de  lune  •
                      COLETTE  (La  Maison  de  Claudine,  Ferenczi,  éditeur).
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